Machi
Comment vas-tu ?
J'ai eu Kakeru au téléphone, et incroyable mais vrai, il m'a tout de suite parlé de toi (après avoir quelque peu tergiversé, ça tombe sous sens... Rappelons que c'était Kakeru...).
Toutes mes félicitations. Je suis sûre que tu seras heureuse.
Parce que tu le mérites.
Moi ? Oh... Je survis. Je traîne mes talons usés dans les larges allées de cette ville inconnue et familière. Je passe des heures à fumer dans des cafés miteux en pensant à toi, à nous, à la distance qui nous sépare et que tu me manques mais que ce n'est pas grave, je pense à tout, tout. Parfois je range des cartons poussiéreux au fond d'une arrière-boutique sans lumière, aussi, j'étouffe. Il faut bien vivre.
Mais ça va, tu sais. Je ne suis plus seule.
Oh, ne crois pas qu'il m'ait remarquée.
Ça fait longtemps que j'ai semé sa silhouette parmi les méandres de la foule.
Ce n'est pas grave.
Même pendue à ses lèvres, mes doigts crispés sur ses épaules, les ongles plantés dans sa peau... il aurait égaré mon nom.
Mais ça m'est égal.
J'ai rencontré quelqu'un.
Ne crois pas que je sois retombée amoureuse, Machi.
Pas déjà.
Ce que je ne ressens n'a rien à voir avec l'amour.
Ce que je ressens est bien supérieur à l'amour.
C'est un coup de foudre. Un coup de foudre en amitié.
Ça peut sembler soudain, mais je crois que cela fait longtemps qu'il avait pris racine dans mon coeur. Depuis toujours. Depuis toujours, je l'ai attendu.
Elle s'appelle... Oh, peu importe son nom.
Sache juste qu'elle est ma fée. Oui, ma fée.
Elle me ressemble tant que parfois ça m'effraye.
Nous parlons le même langage, j'ignore comment elle le connaît (nous n'en avons jamais parlé, nous n'en avons pas le temps, nous avons trop à partager. Juste pour le plaisir de se découvrir d'insignifiants points communs.), peut-être que ce sont juste nos coeurs qui parlent.
Elle n'est pas comme toi, Machi.
Elle est intarissable, claire, franche, limpide. Révoltée.
Elle a gardé quelque chose des années passées sans être puérile. Ni naïve.
Je crois que c'est une vieille enfant, de ces gosses qui comprennent mieux les adultes qu'ils ne se comprennent eux-mêmes, qui pigent tout tout de suite et qui énervent les vieux parce qu'ils n'ont pas l'air fragile. Pas comme les autres.
Parce qu'on ne peut pas les bousculer sans s'excuser.
Elle n'accepte pas le monde des grands, ses contraintes, ses absurdités, et je la comprends.
Parce que nous sommes pareilles.
Parfois, je me dis que j'ai eu de la chance de la rencontrer. De ne pas la rater.
Et je plains tous ceux qui ne nous comprendrons jamais.
Parce qu'ils ne seront jamais complets, c'est sûr.
Comme j'aurais pu être bancale, sans elle.
Je ne la vois pas assez souvent. Aucune importance.
Parce qu'elle volette sans cesse au coin de mes yeux. Parce que je n'ai pas besoin de sa présence pour être près d'elle.
Parce que bientôt on s'installera ensemble et rien ne nous séparera jamais.
Parce qu'elle est une fraction de moi et que je porte quelques grains de ses atomes dans mon coeur.
Il y a des amis qui viennent à toi par hasard, par nécessité, et d'autres qu'on choisi par amour.
Plus je le lui dis, plus je l'aime.
Et je crois que c'est réciproque.
Les élus. Le sacre.
Parfois j'ai besoin d'elle, de sa voix, de ce qu'elle cache derrière ses longs cheveux noirs, sous ses ailes magnifiques et grandioses, je décroche mon téléphone, nous parlons des heures, tu verrais ça, Machi, toi si réservée, si taciturne, des heures, peu importe ce que nous disons, on a rien à se dire, on a tout à échanger.
Tu es ma meilleure amie, Machi (même si ce n'est pas réciproque), la plus ancienne, la plus éloignée.
Tu sais.
Beaucoup d'amour, un peu d'amitié.
Elle, elle est encore au-dessus de ça.
Parce que rien que de l'amour. Rien que du bonheur.
Parce qu'elle et moi, on est du même type.
Je ne suis plus seule, Machi.
J'ai une amie. Une autre.
Une amie de banc, une compagne de solitude, et elle m'a volé un fragment de moi, si tu savais, et parfois je me sens à ce point morcelé que je me demande comment je peux encore tenir debout.
Nous ne parlons pas beaucoup, elle et moi. Peut-être qu'il y a quelque chose de toi au fond de ses yeux.
Notre amitié n'est pas fondé sur cet espèce de brouhaha perpétuel que certains croient indispensables, faire du bruit et prendre de la place pour combler le vide (ne les confonds pas avec ma fée).
On se comprend, je crois.
Parfois, on échange quelques mots, et on se regarde, longuement.
Parce que ce sont les mêmes phrases qui naissent de nos lèvres. Parce qu'on ne sait plus très bien qui a parlé. Parfois.
Parce que parfois, on ne sait plus très bien où s'arrête l'une et où commence l'autre.
On se comprend, ou peut-être qu'on se complète. Un peu.
Je l'ai croisé, un peu par hasard, un peu par accident, dans un square, sur un vieux banc tout sale à la peinture écaillée, et je me suis assise à ses côtés, comme ça, pour rien, et on se retrouve, parfois (souvent ?), lorsque nos coeurs s'appellent, par coïncidence, peut-être, peut-être qu'il y un petit harpon dans nos coeurs qui nous tire l'une vers l'autre.
Premières cigarettes, achetées le coeur battant, conscientes de braver un interdit (mais qu'est-ce qui est encore interdit ?), un après-midi d'ennui, peut-être, un après-midi à tousser et à finir le paquet. Convulsivement. Sans rien dire.
Ce que j'ai mal à la tête.
Et tu sais ? Elle aussi court après une chimère.
Je fuis. Elle s'accroche.
Nous sommes stupides.
Merci.
Ne crois pas qu'il y ait de hiérarchie entre elles, entre vous.
On ne préfère pas son bras droit au gauche. On ne préfère pas un débris de coeur à l'autre.
Je t'aime, Machi.
Et le pire, c'est que j'oublie de te le répéter, de te soûler avec, parce que l'amour est un sentiment parfois pénible, au point de vouloir s'y noyer. Se noyer.
Je sais que tu comprends. Je sais que tu l'aimes.
À ta manière.
Et rien que ça, c'est tellement beau.
Je t'aime. Je ne te le dirais jamais assez. On n'aime jamais assez quelqu'un.
Parce que l'amour, c'est immense.
Je ne serais plus seule, Machi.
Pas tout de suite.
Un garçon, cette fois.
Et ce n'est pas un ami.
Nous ne parlons pas avec les mêmes mots et il me dit qu'il m'aime.
Est-ce un tort ?
Il est gentil, adorable, il aime me serrer dans ses bras, et parfois, je l'embrasse.
Mon coeur a trouvé un port où s'ancrer.
Un grand. Un beau. Il est immense.
Une chaîne m'accroche au rivage. Et chaque maillon est une personne magnifique.
Tu es un maillon de cette chaîne, Machi.
Et tu es magnifique. N'en doute jamais.