Vendredi 7 mai 2010 à 17:12

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On était en planque et on venait de rencontrer un indic qui nous avait arnaqué : il nous avait laissé délibérer entre nous puis avait filé à l’anglaise en prétextant que notre temps était écoulé. Nous nous apprêtions à lever le camp lorsqu’une furie ouvrit brusquement une portière arrière sans qu’on l’ait vue approcher, ce qui était un exploit car nous surveillons la rue dans l’espoir de voir réapparaitre notre contact, mais en plus elle était juchée sur talons, ce qui transforme le déplacement silencieux en parcours d’obstacle.
« Il est déjà parti ? » nous demanda-t-elle en scrutant les sièges arrières, comme si elle s’attendait à ce que quelqu’un se cache sous un coussin.
Mon partenaire lui demanda qui elle était et ce qu’elle faisait exactement. Elle lui répondit d’un regard de mépris et répéta sa question. Mon coéquipier et moi, nous avons échangé un regard intrigué. Il faut dire que c’était la rencontre avec notre informateur était du genre barrée de trois tampons confidentiels, du genre dont le rapport s’égare mystérieusement avant d’arriver aux archives. Elle nous jeta un regard sévère, comme si notre réticence était impertinente. Mon collègue la toisait en retour, mais moi je n’y parvenais pas : son visage me troublait.
Devant notre silence professionnel, elle soupira et nous montra son badge.
« - Je suis chargée de le surveiller. Qu’est-ce qu’il vous a dit ?
- Rien. À part qu’il s’estimait quitte par rapport au Népal.
- Il a osé parler du Népal ? »
Elle semblait terriblement lasse.
« Je vois. Merci pour votre bienveillante coopération. Je vais lui taper sur les doigts. Mes excuses auprès de votre directeur pour cet entretien raté. À bientôt. »
Je retrouvais brusquement la parole pour lui demander « Vous pensez vraiment qu’on va se revoir ? » L’insistance devait percer derrière mon ton badin car elle avait un sourire en coin lorsqu’elle répondit d’un ton égal « certainement pas, je disais ça pour être polie » avant de claquer brusquement la portière et s’éclipser à petits pas pressés.
Mon acolyte me jeta un regard narquois après que je l’ai suivie du regard depuis le rétroviseur. J’ai démarré pour ne pas avoir à parler, et nous en sommes restés là.
Après cet échange bouleversant de complicité, je ne m’attendais pas à la revoir de sitôt. Au plus espérais-je vaguement la croiser lors d’une mission quelconque, je l’imaginais être le genre de femmes qui apparaît inopinément sur un champ de bataille, une scène de crime ou une aile ultraconfidentielle d’un bâtiment fédéral, subtiliser quelques preuves, libérer quelques témoins et repartir comme elle était venue.
J’aurais dû me douter qu’elle était plus alambiquée que ça.
Quelques jours plus tard, elle a sonné à ma porte, un fourreau de soie bleue nuit moulait ses formes, une housse de costume gisait sur son épaule. Au début, j’ai cru qu’il s’agissait d’une mission sous couverture surprise, le genre d’opérations qui n’est monté que pour montrer que la coopération entre agences gouvernementales existe. Elle m’a vite détrompé.
« J’ai une soirée mondaine qui promet d’être longue, ennuyeuse et open bar. Vous venez avec moi. »
J’ai supposé qu’aucun de ses cavaliers ponctuels n’étaient disponibles ou que plus vraisemblablement elle me donnerait des détails de la véritable mission en chemin.
La coupe du costume qu’elle m’avait placé d’autorité entre les bras, et le fait qu’il était parfaitement à ma taille me confortaient dans l’idée qu’elle ne faisait que suivre les ordres.
Elle accueillit mon changement de tenue avec un sourire approbateur. Je me sentais comme un pingouin.
J’eus plus de détails sur la "mission" lorsque j’ai commencé à chercher un endroit où ranger mon arme de service. Elle me jeta un regard sévère.
« Mais vous êtes fou ! Vous voulez faire mourir les responsables de la sécurité d’une crise cardiaque ? Laissez ça là, vous n’en aurez pas besoin. »
Je lui jetais un regard plein d’incompréhension.
« - Mais pourquoi avez-vous besoin de moi ?
- Mais pour me servir d’alibi. Les vétérans et autres aïeux devraient se tenir tranquilles, et comme vous vous sentir mal au bout de quelques heures, je serai obligée de vous raccompagner. Donc vous voyez, vos talents de ninja seront suffisants pour remplir cette charge.
- Est-ce que j’ai le choix ?
- Trop tard, vous avez enfilé le costume. Dépêchez-vous, vous êtes en retard. »
Les vingt minutes dans la limousine furent tout ce qu’il y a de plus embarrassant. J’essayais de faire la conversation et elle repoussait mes efforts avec un sourire poli mais indifférent.
Arrivé à la réception (et après avoir subi une demi-douzaine de contrôles de sécurité, de fouilles, …), elle me présenta négligemment quelques pontes en smokings amidonnés et se noya dans la foule avec grâce, nous laissant avec nos verres de rhums et nos sourires gênés.
Je ne la vis plus pendant une heure ou deux, à croire qu’elle m’évitait. Je commençais même à me demander si elle ne m’avait pas oubliée, lorsqu’un homme est venu m’aborder avec un sourire engoncé et finit par décrocher, après quelques gorgées d’un liquide non identifié : « terribles ces Russes, hein ? ». je le regardais, interdit, en passant en revue les missions impliquant des Russes auxquelles  j’avais pu participer dans ma carrière.
« Moi, elles ont bien failli m’avoir ! Deux. Une vidéo. Tu vois le genre. Dieu merci, ma femme n’est jamais tombée dessus. Mais toi, alors… Tu as fait fort, mon vieux. Te marier avec ! »
C’est ainsi que j’ai appris que j’avais épousé une prostituée de luxe à Moscou qui était partie avec le contenu de mon compte en banque et quelques bijoux de la famille.
Je dois dire qu’au regard du cortège d’invités qui dont venus m’expliquer combien ils comprenaient ma situation (incluant suivant les versions une passion pour le jeu, une enfance au sein d’une secte ou des problèmes chroniques d’incontinence) ou simplement des regards compatissants, je découvris que ma cavalière avait toute une palette d’anecdotes exotiques  pour me ridiculiser. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle ne manquait pas de raffinement, à sa façon. J’imagine qu’elle finit par se lasser, car elle vint me prendre le bras en chuchotant « vous attendez que je m’évanouisse d’ennui pour vous sentir mal à votre tour ? » et elle me traina vers la sortie en s’excusant bien bas de devoir raccompagner son rencard souffrant, tout ce que j’avais à faire c’était de paraître le plus mal en point possible.
Une fois dans le taxi, elle éclata de rire, visiblement soulagée. Puis vingt longues minutes de silence.
À ma grande surprise, lorsque la voiture s’immobilisa devant mon immeuble, elle descendit à son tour et régla la course. Je me suis dit qu’elle voulait récupérer son complet avant de partir. Elle entama l’ascension des escaliers en lançant par-dessus son épaule « vous n’aviez quand même pas cru que vous alliez vous abstenir de m’offrir un dernier verre ? ».
Arrivés à mon appartement, elle claqua la porte du pied et entreprit de m’embrasser avec une fougue inattendue. Devant mon manque d’enthousiasme dû à la surprise, elle me demanda avec dépit « tu veux vraiment boire un verre ? ».
La soirée s’est très bien terminée.

Vendredi 7 mai 2010 à 14:19

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Avant tout je tiens à dire que je n’étais pas volontaire pour cette mission. Je veux dire, des têtes brulées qui veulent partir à l’aventure et expérimenter le libertinage avant de se ranger avec une fille du village, il y en a partout. Moi, je ne voulais pas y aller. Mon instinct de conservation me dit : tiens-toi à l’écart des chimères. Mais il y a toujours un vieux toqué à la barbe blanchie qui parvient à convaincre tout le monde qu’il faut rendre visite aux créatures magiques.
Assez sournoisement, le sort m’a désigné comme émissaire.
Vous me direz, dans le genre monstre, il y a pire que les dryades. Elles au moins, elles parlent. Il y en a même que ça botte, ces histoires de femelles non humaines. Et puis c’est vrai qu’elles recèlent d’un certain charme, les conteurs en faisaient toujours des descriptions dithyrambiques dans leurs fables (ils ont souvent cette tentation assez ridicule à l’hyperbole).
Mais ce n’est pas pour ça que je tenais à faire leur connaissance.
Aller à la sylve des Dryades n’était pas particulièrement difficile ni dangereux, aussi on m’y envoya seul. Il n’était venu à l’idée de personne que les dryades en elles-mêmes pouvaient représenter un danger. On ne se méfie pas assez des femelles.
Bien sûr, personne n’avait prêté attention au fait que les rares fois où on envoyait un intermédiaire auprès des dryades, c’était en plein hiver.
On faisait ça un peu après la St Sylvestre, lorsque la forêt est encore endormie. Les dryades accueillaient le négociateur avec indifférence et le congédiaient rapidement. Cela nous permettait d’en tirer des traités avantageux (libre circulation à travers les futaies, droit d’exclusivité sur le bois mort de la forêt, des choses de cet ordre) tant que nous respections la nature.
Les dryades étaient rarement ravies lorsqu’elles consultaient les clauses avec plus d’attention mais elles ne revenaient jamais sur leur parole. Question d’honneur.
Mais cette année-là, on avait tardé à dépêcher quelqu’un auprès d’elles, et le printemps était en avance.
Les dryades étaient donc en pleine possession de leurs moyens lorsque je suis entré sur leur territoire. Et elles étaient loin d’être ravies de me voir. Cette saison rend les dryades plus sauvages.
Impossible d’entrer dans la sylve à leur insu. Je franchis donc la lisière des bois et m’assis en attendant d’être conduit à leur reine. Mais je ne m’attendais pas à me trouver nez-à-nez avec un arc.
Une dryade contrariée cherchait de toute évidence une cible pour passer ses nerfs et son espèce déteste qu’on soit cruel avec les créatures des bois. Heureusement qu’un humain passait par là. J’aurai au moins rendu service à un renard ou un écureuil. Bref, à la fin, je ressemblais plus ou moins à une pelote d’épingles.
Bien sûr, j’ai été recueilli par une de ses sœurs. Le printemps est aussi la période des amours, et il n’y a pas tant de mâles que ça qui traversent le bosquet.
Cependant, j’étais suffisamment abimé pour ne plus pouvoir quitter les arbres, à la merci des sautes d’humeur des dryades et de mes filles.
Je n’ai même pas réussi à leur faire signer le traité.

Vendredi 30 avril 2010 à 23:04

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Une vieille bâtisse aux façades rongées de lierre, nichée au fond d'une allée de pierres. Hors du monde. On entre, le parquet soupire, au fond du couloir une pièce dont s'échappent les rires, une volée de marche. Des pièces vides. On les traverse sur la pointe des pieds, pour ne pas réveiller les morts. Dans un placard la marionnette éployée, ses longs membres diaphanes semblent vous tendre les bras, il faut fermer la porte pour ne pas être happé, les boucles de ses cheveux (de vrais cheveux humains, on dit qu’ils appartenaient à une catin sublime) ont quelque chose de suppliant.

C’est Maria qui chante ce soir, les vitres du manoir tremblent encore d’une note ténue. Par les fenêtres on peut voir le jardin givré, la pelouse noire et le bosquet fulminant, prêt à marcher sur la vieille bâtisse. Les murs ont toujours la même odeur que dans mon enfance, je laisse courir mes doigts sur les vieilles lézardes, elles donnent à la peinture jaunie les rides familières d’un vieux parent. Cet enfant que j'ai été est encore emprisonné dans les pièces humides, je n'ose pas le laisser sortir, il voudrait jouer avec la marionnette.

Tout le monde concentré dans une même pièce, ils lèvent leur verre à la jolie chanteuse, ils ne savent pas que je suis là, ça n’intéresse personne.

Cette femme qui prend la fuite, une chevelure brune dénouée, une robe de crème qui s’évapore entre les herbes. Cette femme, j’aurai voulu que ce soit moi. Pour le torrent de mes souvenirs, par égard pour l’enfant qui est retenu entre les murs.

Une coupe de champagne abandonnée sur un guéridon. J’enfile la marionnette comme une robe de gala, il est temps de faire honneur aux invités du vieux manoir.

Jeudi 29 avril 2010 à 19:40

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Jane est petite, brune, des lunettes cerclées de noir qui donnent à ses regards le tranchant inquiétant d’une dague. Avec Jane, les mots semblaient toujours sur le point de se briser, le monde n’en finissait pas de vaciller dans ses verres dépolis. Elle tenait sa tasse brulante étroitement serrée entre ses mains, comme si elle tentait de se raccrocher à la réalité. Elle passait des heures dans ce café un peu poisseux, à l’entrée il y avait deux canaris couleur mandarine et en toile de fond un décor chinois qui rappelle celui du film l’Amant : statues de bronze poussiéreuses, enfilade de paravents d’où s’élevaient de petits rires policés, lumières rougeoyantes des lanternes en tissu ballonnées, meubles de Chine, une porte pour s’échapper en arrière-boutique où les désirs un peu spéciaux de certains clients étaient satisfaits et dans l’atmosphère cette fumée huileuse qui m’embrumait. Les doigts de Jane pianotaient sur la table, fiévreux de ne pouvoir courir sur le papier. Elle aimait ce café car il était particulier, il lui donnait l’impression d’être une héroïne, alors elle n’avait pas à me faire attention à moi. Des femmes asiatiques au chignon bridé aux corps déliés glissaient sans nous voir, la soie fraiche de leurs kimonos nous frôlait. C’est moi qui faisais la conversation, parfois, mais finalement ce n’était pas la peine. Je laissais mes mains courir sur ses poignets avec ce qui pouvait passer pour de la tendresse et elle se laissait faire. Il y avait toujours cette vague odeur de thé vert, amère. Jane faisait des efforts pour laisser les limbes mais moi je n’avais plus la force de l’en tirer.
J’avais fait tant d’efforts pour trouver ma place dans son journal mais j’étais trop vieux, trop déglingué pour avoir encore le temps de jouer.
Jane me priait de me rendre à l’hôpital pour avoir une scène palpitante à inscrire dans son journal et un peu de temps pour écrire, moi je n’avais plus de temps à perdre avec Jane.
Bien que nous vivions ensemble (mais je n’étais là qu’à mi-temps, j’avais trop besoin de l’asphalte pour rester longtemps au même endroit), Jane ne m’adressait pas un seul mot lorsque nous nous croisions, elle laissait des notes sur le frigidaire pour me donner rendez-vous à demi-mots, elle s’amusait à décrypter dans son journal les signes qu’elle avait laissé. Moi je n’ai plus envie de jouer aux devinettes.
Jane était une esthète, elle souffrait de la platitude du réel. Moi j’étais un tigre qui ne cessait de se cogner à un cercle de flammes. Jane a pris mon souffle et ma voix, Jane c’est tout ce que j’ai et Jane garde toujours son journal à portée de main. Mais je suis trop usé, parcheminé.
Il n’y a pas de place pour moi dans le journal de Jane car elle est trop occupée à rêver d’un monde où son père serait digne d’y être inscrit. Ce monde n’est pas pour elle. Ce monde, c’est le mien, celui des frustres, on ne prend pas le temps de songer, on n’est qu’à moitié lucide et qu’est-ce que ça peut faire ? On peut faire des kilomètres sans dormir, pourvu qu’on n’ait pas à se regarder dans le rétroviseur, pourvu qu’on puisse se perdre sur la bande d’arrêt d’urgence.
La mère de Jane, elle voulait juste que le monde la laisse s’évaporer et elle m’a laissé Jane. C’est sans doute mieux ainsi.
Jane ne sait peut-être pas qui je suis. Elle n’est pas comme sa mère, elle n’a pas appris à lire entre les lignes. Je cherche toujours à me faire une place dans son journal. Mais il est sans doute trop tard.

Jeudi 18 février 2010 à 15:42

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Femme. Un V qui laisse apparaître un zeste de peau, les yeux se perdent. L’attraction est à son comble, les sourires pleuvent. C’est agréable, et un peu amer. C’est amusant aussi. Tant que cela ne compte pas.
Femme. Vertige, fragilité maitrisée, boitillement stratégique. Claquements assurés, serviabilité contenue, un peu timide.
Femme. Satin qui s’échappe du tissu. Déférence discrète, galanterie d’un autre âge, brassé de roses.
C’est touchant et un peu anachronique, on pense distraitement que des hommes comme ça on en fait plus.
Femme. Un dos nu s’esquisse, laisse apparaitre un bijou à fleur de peau. Bijou d’épiderme. Gestes retenus pour toucher le relief du dessin. Jeu de rôle. L’un se dévoile, l’autre s’incline. Sensualité distante. Il y a dans les regards des gestes plus tendres que ceux des mains. Mots qui s’éteignent.

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