Jeudi 29 juillet 2010 à 20:09

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Pas de doute, c’est une année à mouches. Elles aiment bien quand il fait chaud et bien sec comme ça : ça assainit les charognes. Une mouche quadrille la pièce. Je ne la vois pas, mais j’entends son bourdonnement incessant.
À côté de moi Antéchrista babille, je n’arrive pas à la regarder en face. Un regard écrasant de lassitude est souvent contraire à la diplomatie. Alors je grimace mon exaspération au vide. La mouche nargue mes tympans.
Antéchrista travestit mes mots en des calembours qui l’amusent, elle imite le parler désarticulé des enfants. Je n’esquisse même pas un sourire mais ça ne l’arrête pas. Ça ne l’arrête jamais.
J’aimerai partir mais la mouche me retient, elle me provoque. Je la cherche du regard pour ne pas avoir à voir Antéchrista. Les mêmes jeux de mots qu’il y a dix ans, les mêmes plaisanteries… sa voix rivalise avec le bruissement des ailes.
Heureusement quelqu’un s’empare de la parole, la mouche me cerne et je la chasse d’un geste impatient. Mais Antéchrista ne peut se taire, elle renchérit et complète les propos de notre interlocuteur, lui coupe la parole et lui souffle son texte. Elle a l’approbation retentissante et tout est sous-titré d'un signal sonore. Antéchrista glousse et hurle quand elle ne comprend pas. La mouche m’effleure, je cherche un instrument contendant pour l’aplatir sur le bois de la table.
Antéchrista me pose des questions stupides pour faire de l’esprit, elle ferait n’importe quoi pour engager la conversation, je hausse les épaules. Elle me parle comme si j’avais encore cinq ans mais je suis en chasse. Je me suis levée, je m’approche de ma proie, la mouche est à ma portée, juste là… Antéchrista s’empare brusquement du collier que je porte, c’est une curieuse, elle l’admire le temps que la mouche s’envole hors de portée. Je me rassoie, j’attends mon heure.
J’entends un vrombissement, j’écrase de toutes mes forces la tapette à mouches sur le crâne d’Antéchrista. Tragique méprise.

Mercredi 28 juillet 2010 à 22:36

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« On est bien ici » remarqua la jeune fille d’un ton lointain, inspirant l’air marin.
Le garçon acquiesça en silence en silence. Elle lui avait dit qu’elle voulait voir la mer, il l’avait emmené. C’était aussi simple que ça.
Elle souriait rêveusement, les yeux rivés sur la ligne de l’horizon. Il se demanda avec colère si elle pensait à un autre que lui. Ils avaient pourtant un accord.
 
Elle se leva soudain avec impatience et lui demanda d’un ton insistant « on va se baigner ? » Il réprima un soupir mais se leva à son tour. Il espérait profiter de ces quelques jours volés pour rattraper le temps perdu avec elle, mais il semblerait qu’il n’y ait rien à en tirer avant qu’elle n’ait eu son quota d’eau salée.
 
Il l’observait retirer ses vêtements sur le sable en roulant un joint. Elle lui lança un regard réprobateur mais il ne releva pas. Elle était trop consciente de ce qu’elle lui imposait pour lui glisser une remarque. Alors elle alla à la rencontre des vagues.
Le téléphone de la jeune fille sonna plusieurs reprises pendant qu’elle nageait, il prit sur lui pour ne pas décrocher.
 
Lorsqu’elle décida de revenir au sec, il n’eut pas à tergiverser (il ne savait pas s’il devait lui parler de ces coups de fil répétés ou non) puisqu’il sonna une fois encore immédiatement. Elle soupirant avant même de voir l’identité de l’appelant. Elle se doutait bien de qui il pouvait s'agir.
Elle décrocha pourtant, elle avait pris son ton enfantin, elle babillait qu’elle était désolée, qu’elle était à un repas de famille, qu’elle n’avait pas entendu le téléphone, u’elle allait bien, qu’elle l’aimait. Andréas serra les dents en l’écoutant donner des précisions sur son « séjour en famille » mais elle lui avait expliqué qu’il était plus simple de mentir que de tenter de cacher leur escapade. Il était furieux d’être traité en amant alors qu’il n’en avait pas les droits.
Mais dans un sens, ça faisait partie des termes de leur accord.
Le voyant morose, elle abrégea la conversation et se blottit contre lui. Ça, elle pouvait le faire.
Parfois, il se disait qu’il devrait refuser les termes de cette entente bancale. Mais il avait trop peur de la perdre.
 
Il se souvenait de ce bref moment d’intimité, lorsqu’elle avait posé ses mains sur les siennes et avait dit « un lien comme le notre, c’est tellement rare. En attendant, permets-moi de te garder près de moi. ».
Il aimait y penser, pour tenir le coup.
 
De retour à l’hôtel, il l’entendait prendre une douche sans pouvoir la rejoindre. Dans la valise ouverte, juchées pêle-mêle, des robes qui la mettaient en valeur, des dessous affriolants. Il sentait qu’elle les avait pris pour lui plaire, pour affermir son emprise, mais dans un sens c’était pire puisqu’il était condamné à ne pas pouvoir la toucher.

 
Lorsqu’elle avait proposé cet arrangement, celui de se consacrer deux semaines chaque année, deux semaines rien que tous les deux, dans leur bulle de bonheur, se découvrir, garder le contact, jusqu’à ce qu’ils soient disponibles l’un pour l’autre, deux semaines à savourer ce lien spécial. Sans franchir la ligne jaune. Il avait accepté sans réfléchir. L’urgence, la peur de se perdre à cause d’un problème de calendrier. Et la conviction que ça ne durerait pas, l’affaire d’un été au plus.
Mais à présent il n’en pouvait plus, il voulait la posséder, au moins pour un baiser, affirmer sa supériorité sur son intangible rival qu’au fond elle lui préférait, l’embrasser pour la faire fléchir…
Il n’entendait plus l’écoulement de l’eau, elle allait émerger de la vapeur, drapée d’une serviette, désirable…
 
Il prit une profonde inspiration et s’empara du téléphone qu’elle avait négligemment posé sur sa table de nuit, il y avait quelqu’un à qui il devait parler…

Lundi 26 juillet 2010 à 19:35

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Il faut déployer beaucoup d’efforts pour obtenir quelque chose d’aussi sous-optimal qu’un aéroport. En bouclant sa valise, on sait qu’on embarque des ennuis avec. Les désagréments sont inclus dans le prix excessif du billet.
L’aéroport est conçu pour vous perdre, vous déstabiliser et vous mettre les nerfs à fleur de peau, prêt à tomber dans ses griffes. Le personnel n’est pas formé à la gestion de passagers mais à l’art de leur compliquer la vie. Parfois, on fait appel à leurs capacités spéciales (par exemple, installer au micro une femme absolument incapable d’articuler), ou on leur donne juste des consignes contradictoires.

L’aéroport peut se résumer en une longue file d’attente. L’enregistrement d’abord (heureusement qu’on a inventé les billets électroniques pour nous faciliter la vie), huit machines pour une centaine de voyageurs, le programme est tellement simple d’utilisation que sans le secours d’une hôtesse ça prend trois quarts d’heures. Ensuite, il faut enregistrer ses bagages, ce qui prend bien sûr une heure minimum, parce que coller des étiquettes c’est assez complexe. Ensuite, il y a une autre file d’attente, juste pour le plaisir : un type dans une boite en plexiglas jette un rapide coup d’œil sur les billets afin de nous laisser accéder à quelque chose comme le Saint des Saints : le trottoir roulant. On gagne alors le droit de stationner un peu plus loin, en attendant qu’une machine dissèque nos sacs et nos semelles de chaussures. Si vous avez la chance d’être féminine (comprendre : en jupe), vous bénéficierez même d’une fouille au corps, au cas où vous cachiez un pistolet en plastique dans votre porte-jarretelle. A ce stade, vous devrez abandonner tout espoir de boire quelque chose venu du dehors (qui représente pour les autorités de l’air un monde mystérieux et assez angoissant pour leur psychorigidité).
Mais toutes les bonnes choses ont une fin et il ne reste plus qu’une heure avant de faire la queue avant l’embarquement. Heureusement il y a les boutiques duty free, histoire d’entamer le budget vacances avant l’heure en champagne ou en parfum (et là vous comprenez qu’on vous a fait jeter votre bouteille pour rien. S’ils avaient deux sous de jugeote, ils réaliseraient qu’on peut acheter un briquet et de la vodka, c’est-à-dire un excellent combustible. Bien sûr, rien ne vaut une bonne bombe artisanale, mais je suis sûre qu’un petit incendie fait des merveilles à dix mille pieds d’altitude.). Le temps que l’embarquement commence (car tout aéroport digne de ce nom est terriblement en retard, c’est un gage de fiabilité), les revues achetées pour le trajet sont finies. Une dernière heure de queue, pour la route.
L’embarquement s’achève trois quart d’heure après l’embarquement prévu, et ce n’est que le début, après il faut encore atteindre la piste de décollage.

Les cris répétés d’un bambin en bas-âge (informant les cinq cents passagers et le personnel de bord de l’irresponsabilité totale de ses parents : sérieux, vous imposeriez huit heures d’avion à un enfant de moins de deux ans dans un cas qui ne relève pas de la force majeure ? plus spécifiquement, vous imposeriez ses pleurs en continu aux cinq cents passagers sus évoqués ?) font écho à la sirène qui vrille périodiquement les tympans des voyageurs (sans raison apparente, en plus), outrepassant la barrière des boules Quiès.
Vous apprécierez le sens des convenances à toutes épreuves du personnel : le plateau repas est servi à seize heures (heure française), quoi de mieux qu’une salade de pates et du camembert pour le goûter ?
Une femme accepte une coupe de champagne : gênée par sa propre audace, elle lance d’un ton volubile « voilà, c’est comme ça ! » pour couper court à toutes critiques.

Le passage à la douane est une étrange formalité : après la paranoïa ambiante et le flicage tous les dix mètres, un simple cout d’œil à un formulaire remplit par le voyageur, un contrôle des empreintes et on est libre (une fois que les bagages daignent apparaître sur le tapis, ce qui est évidemment assez long, comme tout le reste).

Le pire, c’est qu’on sait qu’il faudra y retourner. Et que ce sera pire.

Mardi 20 juillet 2010 à 14:42

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Leslie n’y vivait pas, elle préférait la sécurité du Ritz à l’immensité de son hôtel particulier. Pourtant, alors qu’on en explore les dédales, on sentait qu’elle aimait cette maison, comme une partie d’elle-même, elle l’avait meublé avec raffinement. Elle détournait les objets, comme pour dire aux visiteurs « ça m’est égal, ce que vous pensez. Je fais les choses à ma façon. ». Elle posait des éventails sur le sol, clouait des coussins chamarrés au mur : elle avait une alcôve qui ressemblait à une bonbonnière, moelleuse et soyeuse.
Elle concevait les différentes pièces comme des petits univers, ils avaient leur propre unité (l’Afrique, une harmonie rouge et or, …). Passer d’une pièce à l’autre, c’était se dépayser.
Cette maison, c’était un sanctuaire, pas un lieu de vie mais un refuge pour créer ou pour recevoir.
Il y avait cette pièce en particulier, un peu retirée, elle ne laissait personne y accéder seul. Des tentures bleu nuit en velours, des boules de cristal, des bibliothèques en bois sombre, ployant sous les grimoires, un lustre de perles de verre… elle aimait se prendre pour un bohémienne.
Le clou, c’était la salle de bal : un escalier majestueux pour soigner son entrée, du marbre et des feuilles d’or, des miroirs pour accroitre encore la splendeur de l’endroit, des vitrines protégeaient ses plus belles œuvres.
Elle était fascinée par les panthères, leur élégance racée, la fluidité de leurs pas… il y avait des allusions aux félins disséminées discrètement, au creux des tapisseries, en serre-livres…
Elle avait le sens du détail : elle émaillait le décor d’évocations comprises d’elle seule, elle s’amusait à observer ses visiteurs, voir s’ils les déchiffraient. Il y avait par exemple une étagère couverte de bibelots, leurs initiales mises bout à bout formaient son prénom.
C’est un univers saturé de références et de symboles, de faste et d’exotisme, cette maison racontait son histoire.
Leslie était là, tapissée sur les murs.

Vendredi 9 juillet 2010 à 21:48

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C’est officiel, le RER B est soit hanté, soit un lieu d’expérimentation du gouvernement. Ce n’est pas normal de marcher aussi mal.
Pendant le long trajet du retour de la Japan Expo, où toutes les conditions étaient réunies pour qu’il y ait des morts (par déshydratation ou cannibalisme), nous avons élaboré avec quelques codétenus plusieurs théories dont je ne peux m’empêcher de vous faire part, afin que vous soyez sur vos gardes la prochaine fois que vous serez contraints à monter dans ce train maudit.
Les conditions du voyage étaient d’une optimalité diabolique pour rendre le voyage atroce : après une journée à se bousculer, à piétiner et à se faire arnaquer, la chaleur était étouffante (ce qui n’empêcha pas la pluie de faire son apparition une fois que nous sommes tous sortis de la Japan pour rentrer chez nous, histoire de ruiner nos beaux cosplays), les retards du RER ont servi à achever d’ébranler le moral des troupes.
Bien sûr, ce n’est pas l’arrivée du RER qui allait nous délivrer : vous voyez le métro aux heures de pointe ? La même, en plus chaud, plus long et avec les jambes en compote.
Le voyage en lui-même fut exotique : des arrêts entre les gares, juste avant d’entrer en gare et aux gares auxquelles il n’était pas censé s’arrêter, et une allure d’escargot sous antidépresseurs entre les arrêts. Pour nous rassurer sur l’état des lieux, le message pré-enregistré « nous sommes momentanément arrêté, merci de ne pas descendre sur les voies ». Dommage, ça aurait sans doute été plus rapide avec la RATP (Rentre Avec Tes Pieds).
Plusieurs hypothèses ont été soulevées pour expliquer l’inhumanité de cette quasi-atteinte aux droits de l’Homme qu’a été cet affreux trajet, qui dura plus d’une heure avant qu’on atteigne la civilisation (la gare du Nord) :
- l’incompétence totale de la RATP
explication la plus crédible
Le chauffeur faisait son premier voyage et découvrait le fonctionnement du train, il a mis un peu de temps à trouver le bouton pour accélérer (par contre il maitrisait très bien celui de l’arrêt inopiné, chose étrange).
- le chauffeur était un esthète, il ne pouvait s’empêcher d’admirer le paysage (à moins qu’il ne soit carrément peintre et qu’il ait pris des croquis) ou de nous la faire découvrir.
explication relativement douteuse, à moins que le chauffeur ne soit totalement myope, ceux qui ont déjà pris la ligne B voient ce que je veux dire.
- l’expérience sociologique, à la Werber : au bout de combien de temps les japonisants commencent à s’entretuer ? Les free-hugs réduisent-ils l’agressivité ? Les geeks sont-ils réellement plus violents à cause des jeux vidéos ?
À notre connaissance, l’expérience a été arrêtée avant des débordements majeurs. De toute façon, il n’y avait pas de place pour caser les corps.
variante : l’expérience de télé-réalité. Amélie Nothomb n’est pas loin.

Peut-être que les japonisants étaient personnellement visés
- l’extermination : les japonisants sont de potentiels terroristes kawais, braquant la boutique Baby the Stars Shine Bright armés de dangereux pistolets Hello Kitty.
Les parquer dans un train à la sortie de la Japan Expo est un moyen de réduire les dommages collatéraux lors de l’explosion.
Le trajet était long afin que l’armée ait le temps de vérifier s’il n’y a pas trop de civils dans le train. Apparemment, il y en avait trop. Merci les colonies de vacances qui venaient de Charles de Gaulle et qui avaient pris toutes les places assises (et la place tout court avec leurs valises).
- les japonisants ont été réuni pour qu’on puisse mener des expériences sur eux dans un laboratoire secret, voir s’ils cachent le gène sushi, s’ils sont immunisés au fugu ou autres
Malheureusement, une commission est intervenue pour empêcher ça. À moins qu’un krach boursier inopiné ait détruit les fonds pour financer les recherches (merci la crise)

À moins que toute approche rationnelle ne soit vouée à l’échec
- le chauffeur était un fantôme (d’où ses difficultés à appuyer sur les commandes) et il nous amenait dans une gare fantôme (mais il avait perdu l’adresse, d’où ces arrêts aussi inutiles que fréquents).
Nous en sommes sortis vivants, pour cette fois.
L’année prochaine, on ira en voiture, c’est plus sûr (et plus frais).
Encore que…

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