Pas de doute, c’est une année à mouches. Elles aiment bien quand il fait chaud et bien sec comme ça : ça assainit les charognes. Une mouche quadrille la pièce. Je ne la vois pas, mais j’entends son bourdonnement incessant.
À côté de moi Antéchrista babille, je n’arrive pas à la regarder en face. Un regard écrasant de lassitude est souvent contraire à la diplomatie. Alors je grimace mon exaspération au vide. La mouche nargue mes tympans.
Antéchrista travestit mes mots en des calembours qui l’amusent, elle imite le parler désarticulé des enfants. Je n’esquisse même pas un sourire mais ça ne l’arrête pas. Ça ne l’arrête jamais.
J’aimerai partir mais la mouche me retient, elle me provoque. Je la cherche du regard pour ne pas avoir à voir Antéchrista. Les mêmes jeux de mots qu’il y a dix ans, les mêmes plaisanteries… sa voix rivalise avec le bruissement des ailes.
Heureusement quelqu’un s’empare de la parole, la mouche me cerne et je la chasse d’un geste impatient. Mais Antéchrista ne peut se taire, elle renchérit et complète les propos de notre interlocuteur, lui coupe la parole et lui souffle son texte. Elle a l’approbation retentissante et tout est sous-titré d'un signal sonore. Antéchrista glousse et hurle quand elle ne comprend pas. La mouche m’effleure, je cherche un instrument contendant pour l’aplatir sur le bois de la table.
Antéchrista me pose des questions stupides pour faire de l’esprit, elle ferait n’importe quoi pour engager la conversation, je hausse les épaules. Elle me parle comme si j’avais encore cinq ans mais je suis en chasse. Je me suis levée, je m’approche de ma proie, la mouche est à ma portée, juste là… Antéchrista s’empare brusquement du collier que je porte, c’est une curieuse, elle l’admire le temps que la mouche s’envole hors de portée. Je me rassoie, j’attends mon heure.
J’entends un vrombissement, j’écrase de toutes mes forces la tapette à mouches sur le crâne d’Antéchrista. Tragique méprise.