Vendredi 19 novembre 2010 à 20:55

http://www.dvd-video-jaquettes.com/images/affiches%20de%20films%2002/dorian%20gray%20us%20v1.jpg

A peine avais-je achevé l’ouvrage que j’étais amoureuse. J’aimais ce personnage romanesque, cruel et fragile, tellement plus intense et nébuleux que tous les hommes réels. Et moi, je savais son secret, je me disais que j’allai le sauver, le réparer (instinct maternel candide, j’imagine). Mais bien malin qui dira qui a sauvé l’autre.
Dorian valait bien mieux que les autres car dans mon imagination il était à moi et à moi seule. Il ne me décevait jamais, ou seulement quand je le voulais, je le voyais revenir à moi penaud et plus épris que jamais. Je l’avais sauvé, je l’acceptais et à présent il était à moi.

Je trahissais parfois Dorian avec des garçons de ma connaissance, mais il restait l’homme idéal : éternellement jeune, fin et cultivé, sarcastique, fugace et touchant, une petite faiblesse au fond du cœur qui le rendait tellement humain.

Et un jour, Dorian est venu à moi, sous les traits de Seth, mais son nom n’a pas d’importance.
Seth n’était pas parfait mais Seth était libre. Seth était en perpétuel mouvement pour ne pas avoir à croiser de vieilles connaissances. Nouvelles technologies, amélioration des transports, mondialisation… un dur siècle pour les immortels.

Seth m’a abordé dans une soirée bourgeoise, c’est une amie qui m’y avait tiré, avec son charme d’un autre âge il se fondait dans le décor.
- Cette décennie, j’ai décidé de ne courtiser que les femmes portant un bijou en forme de dragon.
J’avais toujours un dragon en argent, les ailes repliées, lové autour de mon pouce, j’aimais à croire que c’était mon totem. Il avait gardé des manières un peu désuètes, peut-être son maintien, son phrasé, son regard.
- Vous n’allez pas en courtiser beaucoup, alors., ai-je répondu, un peu lasse.
Je ne saurai jamais s’il avait improvisé cette maxime ou s’il s’ennuyait à ce point.

Il faut croire  que mon dragon m’a porté chance, je l’ai gardé près de moi pendant 10 ans. Et puis je l’ai perdu. Sans doute j’avais grandi.

Samedi 13 novembre 2010 à 0:18

http://melancholic.cowblog.fr/images/Cupcake.jpg

On la tirait à présent sur un chemin de graviers, d’autres traverses le traversaient (des boucles qui ne frôlaient nul édifice, des voies en pointillés, des sentiers qui s’interrompaient quelques mètres après leur naissance sur un talus d’herbe), des panneaux indiquaient régulièrement et dans diverses orientations « somme ouère » (« l’anglais est vraiment une langue universelle » se dit Alice).

 
Brusquement, les deux gardes qui encadraient Alice montèrent une volée de marches sans égard pour leur « paquet » (dont les mollets rebondissaient sur les arêtes). La route se prolongeait à l’intérieur du bâtiment, démarqué au sol par des carreaux plus clairs qui séparait en deux la bâtisse de façon parfaitement symétrique.
pour autant qu’Alice pouvait en voir, l’architecte avait manqué cruellement d’imagination : le lieu était carré, le rez-de-chaussée semblait se limiter à une large pièce où se croisaient des domestiques affairés, une porte coupait chaque mur en son centre, elle donnait probablement sur des escaliers (supposa Alice) et le motif était répété sur les étages (depuis la pièce principale, on voyait le plafond et à chaque étage une coursive longeait les murs reliant les quatre portes d’un même étage), à perte de vue. La forme des portes (des trèfles, évidemment) renforça la conviction qu’avait Alice : elle avait à faire à des végétaux mobiles (qui d’autre aurait adopté une forme de porte aussi peu optimale ?).
soudain, un groupe d’une dizaine d’hommes et de femmes en robes blanche ornées des motif des cartes à jouer de trèfle (l’as était en tête) jaillit en file indienne d’une des portes.
« Qui est-ce ? » demanda l’As de trèfle aux gardes.
« Une étrangère. La Reine vous laisse l’étudier. Faites-en ce que vous voulez. »
Sur ce, les gardes lâchèrent brusquement Alice (qui tomba sur son céans) et continuèrent leur chemin.
Une voix s’éleva du groupe : « Note : les étrangers ne savent pas tenir debout. Quand on les lâche, ils tombent. » et tous dégainèrent un calepin pour noter frénétiquement cette idée (du moins, c’est ce que conjectura Alice. C’était peut-être leur liste de course ou des vers octosyllabiques). Ils se déployèrent autour d’elle en la jaugeant avec curiosité. Se sentant menacé, Alice resta à terre, les dévisageant tour à tour. Elle finit par se lever, les Trèfles eurent un mouvement de recul. Amusée, Alice fit un pas en avant. Les Trèfles en face d’elle reculèrent. Elle renouvela donc le procédé, faisant des mouvements de plus en plus brusques et amples.
Le numéro 3 céda enfin à la panique et fit mine de s’enfuir en courant. Alors qu’il allait passer la porte, deux gardes lui barrèrent le passage (Alice croyait distinguer un 8 et un 9 noirs sur leur plastron, mais elle n’en était pas sûre) et l’emportèrent vers le château sans le moindre commentaire.
L’As dit d’une voix mélancolique « le 3 a toujours été le plus faible d’entre nous… paix à son âme, il a fait son devoir, pour le château de cartes et pour la Reine. Bon, qui va remplacer 3 ? entre les légions du Chaos et les loisirs de la Reine, on commence à manquer de candidats. »
« Et pourquoi pas l’étrangère ? » osa timidement le 6.
Les autres Trèfles se tournèrent vers lui comme un seul homme.
« - Oui, elle dispose sans doute de connaissances inédites sur le monde extérieur.
- ce n’est pas parce qu’elle est étrangère qu’elle n’est pas sotte. D’ailleurs on ne sait même pas si ça parle. » objecta le 2.
« Bien sûr que je sais parler. » répliqua Alice, piquée au vif.
L’As : « Note : l’emploi du verbe parler fait parler les étrangers. Penser à dire en sa présence voler, cuire et couler. » (ils prenaient tous des notes).
« C’est entendu. » trancha l’As, « qu’on l’emmène voir le duc et la duchesse. »
Deux Trèfles s’approchèrent d’Alice avec répugnance et lui firent signe de les suivre. Ils lui firent monter des marches, en descendre d’autres, traverser les coursives pendues au-dessus de la salle principale (ils firent deux tours complets à un étage). Alice tentait de jeter des coups d’oeils dans les salles qu’ils dépassaient, elle vit une piscine de livres(un vieillard nageait avec décontraction entre les pages), une cantine de livres (des femmes en tablier faisait tourner des livres de poche dans des marmites, mijoter des BDs dans des poêles et lever des manuscrits dans des fours, elles s’en saisissaient avec des pinces à cornichon pour les jeter sans ménagement dans les plateau-repas de personnes en robes ornées de trèfles mais ils ne semblaient pas avoir de numéro, ils s’installaient sur des tables branlantes pour lire d’un air douloureux des livres fumants et passablement roussis), un hôpital de livres (des infirmières en blouses ornées de trèfles tapotaient des coussins où trônaient des livres, dans un coin des médecins les auscultaient, les rafistolaient, et les perfusaient d’encre).
Sans s’en rendre compte, elle avait continué à avancer alors que ses guides s’étaient arrêtés. Lorsqu’elle se retourna pour les rejoindre, une porte se referma sur eux.

Vendredi 12 novembre 2010 à 23:50

http://melancholic.cowblog.fr/images/20090323131747.jpg

De toute façon, avec elle tout était faux. Quand ils m’ont demandé si je la connaissais, j’ai répondu non et je le pensais. Elle ne laissait rien voir d’elle-même. Elle empruntait des opinions à ses lectures, des goûts à ses amis, des impressions à des vitrines, elle se teignait les cheveux pour ne pas se ressembler. Bien sûr, nous avons fini par sortir ensemble, c’était inévitable lorsqu’on appartenait à notre cercle. A force de fréquentation, on finit par avoir des affinités, alors on jouait un peu au chat et à la souris avant de tomber dans les bras l’un de l’autre. En général, c’était décevant.
Elle embrassait avec les yeux ouverts en plus, comme si elle avait peur de perdre le contrôle. Je trouvais ça désagréable.
Elle était cruelle, c’est la seule chose que je savais d’elle. Elle ne s’abandonnait à mon bras lorsque nous croisions des admirateurs, rarement en privé (elle avait mieux à faire), elle m’oubliait avec désinvolture pour flirter avec le favori d’une rivale. Alors je ne peux pas dire que j’ai été surpris lorsqu’entre mes bras elle s’est adonnée à l’asphyxie. Je crois qu’elle était prête à n’importe quoi pour qu’on s’intéresse à elle. Elle se pâmé et soudain elle n’a plus respiré. Alors je suis parti, je lui devais bien ça.

Mercredi 3 novembre 2010 à 16:32

http://blog.galerie-noemie.com/.a/6a00d83451b41769e201053629309f970c-pi

Qu’ai-je été en vérité, je serai bien en peine de le dire.
Pendant les vacances d’hiver, la petite ville était désertée, faute d’étudiants. Retrouver la chaleur d’un foyer, ça doit être bien, c’est sûr. Je hante les rues clairsemées, me cogne aux échoppes fermées. Au hasard des ruelles, je cherche une présence. Au fond d’une impasse un café, j’y entre comme envoutée. Quelques étudiants orphelins y sont installés, l’odeur de cannelle rivalise avec un parfum vanille bourbon. Ça sent Noël, un Noël doux-amer des laissés-pour-compte, la fièvre de la fête picote notre peau mais le cœur reste froid. Je m’installe et commande un café viennois, au fond du café une bibliothèque tapisse le mur pour ceux qui comme moi y sont venus tuer le temps par erreur. La neige commence à tomber, comme une enfant j’aimerai tracer des signes dans la buée des fenêtres mais l’air sérieux du serveur m’en dissuade. Nous nous fuyons du regard, comme si nous avions honte d’être encore là, dans cette petite ville universitaire, à la veille des fêtes hivernales, comme si c’était mal. J’attrape un livre pour me donner une contenance, je voudrais déjà partir. Jane Austen me tient compagnie pendant quelques pages, j’aurai préféré un recueil de poèmes mais je n’ai pas envie de me faire remarquer en me levant à nouveau. Je bois mon café d’un trait, j’ai besoin d’être seule. Je suis sortie presque en courant, comme une voleuse. J’avais envie d’aller voir la mer.

 
Il fait sombre déjà, la mer comme de l’encre de chine et le sable de cendres. La plage noire, l’eau agitée par une grande houle. Ici, je peux être en paix. J’ai sur moi ton mouchoir qui a gardé un peu de ton parfum, cacao/caramel sur fond de bois de cèdre. Bientôt il faudra rentrer.

Samedi 30 octobre 2010 à 17:14

http://grandquebec.com/upl-files/station-metro-atwater.JPG

Vous savez, ces instants où rien n’a pu être dit. Les mots se pressent au bord des lèvres, en sursis, sans oser atteindre leur destinataire. Les yeux se cherchent, se fuient, s’interrogent, mais dans le silence tout semble suspendu. Des histoires comme ça on en a tous, des moments devenus brulants, des moments immobiles et tout paraît au ralenti. À un inconnu au hasard d’un croisement, l’air perdu. Figé au milieu de l’escalier, il me fixait (ce fut comme une apparition), comme s’il me confondait avec quelque muse destinée à lui montrer le chemin, comme si nous nous étions déjà rencontrés. Il y avait tant de mots dans ses yeux et je ne comprenais pas leur langage. Accaparée par une discussion, je ne pouvais lui lancer que de petits coups d’œil furtifs, interrogatifs, avant de m’éloigner. Vous savez comment c’est, ça a duré moins d’une minute. Et pourtant la marque de ses yeux, je la sentais encore tandis que je m’enfonçais dans les couloirs du métropolitain, je m’attendais presque à ce qu’il me suive ou qu’il demande mes coordonnées à mon amie restée sur le quai. C’était comme un coup de foudre manqué, comme une pierre de plus pour lester le poids des regrets, des occasions manquées. Il aurait suffit d’une phrase (« on se connait ? »), d’un mot (« oui ? ») mais je m’éloignais et l’inconnu qui m’avait dévisagée avec tant d’intensité, à m’en transpercer la chair, avait probablement disparu. Inconnu, que me voulais-tu ?

<< I'm Darkness | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 | I'm Sin >>

Créer un podcast