Samedi 13 novembre 2010 à 0:18
On la tirait à présent sur un chemin de graviers, d’autres traverses le traversaient (des boucles qui ne frôlaient nul édifice, des voies en pointillés, des sentiers qui s’interrompaient quelques mètres après leur naissance sur un talus d’herbe), des panneaux indiquaient régulièrement et dans diverses orientations « somme ouère » (« l’anglais est vraiment une langue universelle » se dit Alice).
Brusquement, les deux gardes qui encadraient Alice montèrent une volée de marches sans égard pour leur « paquet » (dont les mollets rebondissaient sur les arêtes). La route se prolongeait à l’intérieur du bâtiment, démarqué au sol par des carreaux plus clairs qui séparait en deux la bâtisse de façon parfaitement symétrique.
pour autant qu’Alice pouvait en voir, l’architecte avait manqué cruellement d’imagination : le lieu était carré, le rez-de-chaussée semblait se limiter à une large pièce où se croisaient des domestiques affairés, une porte coupait chaque mur en son centre, elle donnait probablement sur des escaliers (supposa Alice) et le motif était répété sur les étages (depuis la pièce principale, on voyait le plafond et à chaque étage une coursive longeait les murs reliant les quatre portes d’un même étage), à perte de vue. La forme des portes (des trèfles, évidemment) renforça la conviction qu’avait Alice : elle avait à faire à des végétaux mobiles (qui d’autre aurait adopté une forme de porte aussi peu optimale ?).
soudain, un groupe d’une dizaine d’hommes et de femmes en robes blanche ornées des motif des cartes à jouer de trèfle (l’as était en tête) jaillit en file indienne d’une des portes.
« Qui est-ce ? » demanda l’As de trèfle aux gardes.
« Une étrangère. La Reine vous laisse l’étudier. Faites-en ce que vous voulez. »
Sur ce, les gardes lâchèrent brusquement Alice (qui tomba sur son céans) et continuèrent leur chemin.
Une voix s’éleva du groupe : « Note : les étrangers ne savent pas tenir debout. Quand on les lâche, ils tombent. » et tous dégainèrent un calepin pour noter frénétiquement cette idée (du moins, c’est ce que conjectura Alice. C’était peut-être leur liste de course ou des vers octosyllabiques). Ils se déployèrent autour d’elle en la jaugeant avec curiosité. Se sentant menacé, Alice resta à terre, les dévisageant tour à tour. Elle finit par se lever, les Trèfles eurent un mouvement de recul. Amusée, Alice fit un pas en avant. Les Trèfles en face d’elle reculèrent. Elle renouvela donc le procédé, faisant des mouvements de plus en plus brusques et amples.
Le numéro 3 céda enfin à la panique et fit mine de s’enfuir en courant. Alors qu’il allait passer la porte, deux gardes lui barrèrent le passage (Alice croyait distinguer un 8 et un 9 noirs sur leur plastron, mais elle n’en était pas sûre) et l’emportèrent vers le château sans le moindre commentaire.
L’As dit d’une voix mélancolique « le 3 a toujours été le plus faible d’entre nous… paix à son âme, il a fait son devoir, pour le château de cartes et pour la Reine. Bon, qui va remplacer 3 ? entre les légions du Chaos et les loisirs de la Reine, on commence à manquer de candidats. »
« Et pourquoi pas l’étrangère ? » osa timidement le 6.
Les autres Trèfles se tournèrent vers lui comme un seul homme.
« - Oui, elle dispose sans doute de connaissances inédites sur le monde extérieur.
- ce n’est pas parce qu’elle est étrangère qu’elle n’est pas sotte. D’ailleurs on ne sait même pas si ça parle. » objecta le 2.
« Bien sûr que je sais parler. » répliqua Alice, piquée au vif.
L’As : « Note : l’emploi du verbe parler fait parler les étrangers. Penser à dire en sa présence voler, cuire et couler. » (ils prenaient tous des notes).
« C’est entendu. » trancha l’As, « qu’on l’emmène voir le duc et la duchesse. »
Deux Trèfles s’approchèrent d’Alice avec répugnance et lui firent signe de les suivre. Ils lui firent monter des marches, en descendre d’autres, traverser les coursives pendues au-dessus de la salle principale (ils firent deux tours complets à un étage). Alice tentait de jeter des coups d’oeils dans les salles qu’ils dépassaient, elle vit une piscine de livres(un vieillard nageait avec décontraction entre les pages), une cantine de livres (des femmes en tablier faisait tourner des livres de poche dans des marmites, mijoter des BDs dans des poêles et lever des manuscrits dans des fours, elles s’en saisissaient avec des pinces à cornichon pour les jeter sans ménagement dans les plateau-repas de personnes en robes ornées de trèfles mais ils ne semblaient pas avoir de numéro, ils s’installaient sur des tables branlantes pour lire d’un air douloureux des livres fumants et passablement roussis), un hôpital de livres (des infirmières en blouses ornées de trèfles tapotaient des coussins où trônaient des livres, dans un coin des médecins les auscultaient, les rafistolaient, et les perfusaient d’encre).
Sans s’en rendre compte, elle avait continué à avancer alors que ses guides s’étaient arrêtés. Lorsqu’elle se retourna pour les rejoindre, une porte se referma sur eux.