Vendredi 7 mai 2010 à 18:48

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Seth était un menteur et un courant d’air. J’avais dix-sept et envie de vivre. Dans ma torpeur, j’ai senti qu’il était celui qu’il me fallait.
Alors il s’est imposé à moi. Un jardin public ; de grands parterres de jonquilles ; je portais un parfum vanillé, un peu écœurant. C’est peut-être ce qui a attiré son attention. Je déambulais au hasard, savourant la morsure du soleil. Je n’étais pas vivante avant de le rencontrer.
Il était du genre accommodant, il m’a laissée m’imposer à lui.
Nous sortions tous les soirs.
Il m’a présenté des amis à lui, je suppose qu’ils avaient pris l’habitude de se croiser dans les dancings.
C’était facile d’être avec eux.

Vendredi 7 mai 2010 à 18:46

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J’aime les grandes villes. Des immeubles nappés de verre, anonymes. Chambre avec vue. J’habite cet appartement comme une rencontre passagère. Les murs nus et le mobilier sommaire rappellent l’hôpital. Mais dans cette ville, il y a Seth.
Une ville, la nuit. Le moule dans lequel il m’a forgée. Les lumières des réverbères et les lanternes des terrasses des cafés, les ampoules sales des clubs où tout se joue dans l’arrière boutique ou les cuisines, il m’enveloppait dans une robe du soir aérienne et on allait dans des bars sordides aux airs de société secrète.
Je me souviens de ces journées passées dans son studio, comme s’il n’y avait rien d’autre au monde qu’une vue sur les gratte-ciels. Une vie en apesanteur.
On ne voit ni le ciel ni le sol, les hauteurs semblent former une ville à elles seules, par des ponts invisibles qui semblent se former au sein d’un même étage. L’horizon est barré de bannières publicitaires.
Notre cœur battait au rythme de l’urbain (ce grand cœur de béton), c’est peut-être la seule chose que nous avions en commun. Nous avions besoin d’un microcosme, de mille miroirs pour nous apercevoir. Perfusés aux gaz d’échappements, nous nous nourrissions des pulsations de la foule.

Vendredi 7 mai 2010 à 18:44

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Il s’infiltrait partout. Il avait ses combines. Il faisait semblent de retrouver de vieilles connaissances, ils savaient mettre subtilement mal à l’aise les gens pour qu’ils lui cèdent en tout. Nous évoluions dans des salles dont les plafonds ployaient sous les lustres de cristal et les fenêtres sous les tentures, comme si nous étions parfaitement à notre place. Nous étions chez nous partout.
Jaguar. Seth abordait les femmes, elles se retournaient (surprises, inquiètes, hostiles…), il les désarmait d’un sourire enjôleur. Elles sentaient les accents séducteurs de sa voix, elles se laissaient troubler, un rendez-vous ça n’engage à rien…
Lorsqu’ils se trouvaient face-à-face, dans la fausse intimité d’un café bondé, il leurs tournait autour comme on tourne autour d’une proie.
Il devenait dangereux, inquiétant… il s’approchait de leurs bouches d’un peu trop près, il se penchait vers elles pour les acculer à la fuite… elles étaient envoutées, elles étaient désorientées… elles finissaient par se glisser aux toilettes pour se remaquiller, pour déposer une goutte de parfum au creux de leurs gorges, pour ne plus avoir à soutenir son regard, reprendre leurs esprits…
Si elles laissaient leurs portefeuilles ou un objet de valeur, il disparaissait avec. Sinon, il retentait sa chance.
Mais les femmes sont naïves, il avait rarement à prendre un second rendez-vous.

Vendredi 7 mai 2010 à 17:12

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On était en planque et on venait de rencontrer un indic qui nous avait arnaqué : il nous avait laissé délibérer entre nous puis avait filé à l’anglaise en prétextant que notre temps était écoulé. Nous nous apprêtions à lever le camp lorsqu’une furie ouvrit brusquement une portière arrière sans qu’on l’ait vue approcher, ce qui était un exploit car nous surveillons la rue dans l’espoir de voir réapparaitre notre contact, mais en plus elle était juchée sur talons, ce qui transforme le déplacement silencieux en parcours d’obstacle.
« Il est déjà parti ? » nous demanda-t-elle en scrutant les sièges arrières, comme si elle s’attendait à ce que quelqu’un se cache sous un coussin.
Mon partenaire lui demanda qui elle était et ce qu’elle faisait exactement. Elle lui répondit d’un regard de mépris et répéta sa question. Mon coéquipier et moi, nous avons échangé un regard intrigué. Il faut dire que c’était la rencontre avec notre informateur était du genre barrée de trois tampons confidentiels, du genre dont le rapport s’égare mystérieusement avant d’arriver aux archives. Elle nous jeta un regard sévère, comme si notre réticence était impertinente. Mon collègue la toisait en retour, mais moi je n’y parvenais pas : son visage me troublait.
Devant notre silence professionnel, elle soupira et nous montra son badge.
« - Je suis chargée de le surveiller. Qu’est-ce qu’il vous a dit ?
- Rien. À part qu’il s’estimait quitte par rapport au Népal.
- Il a osé parler du Népal ? »
Elle semblait terriblement lasse.
« Je vois. Merci pour votre bienveillante coopération. Je vais lui taper sur les doigts. Mes excuses auprès de votre directeur pour cet entretien raté. À bientôt. »
Je retrouvais brusquement la parole pour lui demander « Vous pensez vraiment qu’on va se revoir ? » L’insistance devait percer derrière mon ton badin car elle avait un sourire en coin lorsqu’elle répondit d’un ton égal « certainement pas, je disais ça pour être polie » avant de claquer brusquement la portière et s’éclipser à petits pas pressés.
Mon acolyte me jeta un regard narquois après que je l’ai suivie du regard depuis le rétroviseur. J’ai démarré pour ne pas avoir à parler, et nous en sommes restés là.
Après cet échange bouleversant de complicité, je ne m’attendais pas à la revoir de sitôt. Au plus espérais-je vaguement la croiser lors d’une mission quelconque, je l’imaginais être le genre de femmes qui apparaît inopinément sur un champ de bataille, une scène de crime ou une aile ultraconfidentielle d’un bâtiment fédéral, subtiliser quelques preuves, libérer quelques témoins et repartir comme elle était venue.
J’aurais dû me douter qu’elle était plus alambiquée que ça.
Quelques jours plus tard, elle a sonné à ma porte, un fourreau de soie bleue nuit moulait ses formes, une housse de costume gisait sur son épaule. Au début, j’ai cru qu’il s’agissait d’une mission sous couverture surprise, le genre d’opérations qui n’est monté que pour montrer que la coopération entre agences gouvernementales existe. Elle m’a vite détrompé.
« J’ai une soirée mondaine qui promet d’être longue, ennuyeuse et open bar. Vous venez avec moi. »
J’ai supposé qu’aucun de ses cavaliers ponctuels n’étaient disponibles ou que plus vraisemblablement elle me donnerait des détails de la véritable mission en chemin.
La coupe du costume qu’elle m’avait placé d’autorité entre les bras, et le fait qu’il était parfaitement à ma taille me confortaient dans l’idée qu’elle ne faisait que suivre les ordres.
Elle accueillit mon changement de tenue avec un sourire approbateur. Je me sentais comme un pingouin.
J’eus plus de détails sur la "mission" lorsque j’ai commencé à chercher un endroit où ranger mon arme de service. Elle me jeta un regard sévère.
« Mais vous êtes fou ! Vous voulez faire mourir les responsables de la sécurité d’une crise cardiaque ? Laissez ça là, vous n’en aurez pas besoin. »
Je lui jetais un regard plein d’incompréhension.
« - Mais pourquoi avez-vous besoin de moi ?
- Mais pour me servir d’alibi. Les vétérans et autres aïeux devraient se tenir tranquilles, et comme vous vous sentir mal au bout de quelques heures, je serai obligée de vous raccompagner. Donc vous voyez, vos talents de ninja seront suffisants pour remplir cette charge.
- Est-ce que j’ai le choix ?
- Trop tard, vous avez enfilé le costume. Dépêchez-vous, vous êtes en retard. »
Les vingt minutes dans la limousine furent tout ce qu’il y a de plus embarrassant. J’essayais de faire la conversation et elle repoussait mes efforts avec un sourire poli mais indifférent.
Arrivé à la réception (et après avoir subi une demi-douzaine de contrôles de sécurité, de fouilles, …), elle me présenta négligemment quelques pontes en smokings amidonnés et se noya dans la foule avec grâce, nous laissant avec nos verres de rhums et nos sourires gênés.
Je ne la vis plus pendant une heure ou deux, à croire qu’elle m’évitait. Je commençais même à me demander si elle ne m’avait pas oubliée, lorsqu’un homme est venu m’aborder avec un sourire engoncé et finit par décrocher, après quelques gorgées d’un liquide non identifié : « terribles ces Russes, hein ? ». je le regardais, interdit, en passant en revue les missions impliquant des Russes auxquelles  j’avais pu participer dans ma carrière.
« Moi, elles ont bien failli m’avoir ! Deux. Une vidéo. Tu vois le genre. Dieu merci, ma femme n’est jamais tombée dessus. Mais toi, alors… Tu as fait fort, mon vieux. Te marier avec ! »
C’est ainsi que j’ai appris que j’avais épousé une prostituée de luxe à Moscou qui était partie avec le contenu de mon compte en banque et quelques bijoux de la famille.
Je dois dire qu’au regard du cortège d’invités qui dont venus m’expliquer combien ils comprenaient ma situation (incluant suivant les versions une passion pour le jeu, une enfance au sein d’une secte ou des problèmes chroniques d’incontinence) ou simplement des regards compatissants, je découvris que ma cavalière avait toute une palette d’anecdotes exotiques  pour me ridiculiser. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle ne manquait pas de raffinement, à sa façon. J’imagine qu’elle finit par se lasser, car elle vint me prendre le bras en chuchotant « vous attendez que je m’évanouisse d’ennui pour vous sentir mal à votre tour ? » et elle me traina vers la sortie en s’excusant bien bas de devoir raccompagner son rencard souffrant, tout ce que j’avais à faire c’était de paraître le plus mal en point possible.
Une fois dans le taxi, elle éclata de rire, visiblement soulagée. Puis vingt longues minutes de silence.
À ma grande surprise, lorsque la voiture s’immobilisa devant mon immeuble, elle descendit à son tour et régla la course. Je me suis dit qu’elle voulait récupérer son complet avant de partir. Elle entama l’ascension des escaliers en lançant par-dessus son épaule « vous n’aviez quand même pas cru que vous alliez vous abstenir de m’offrir un dernier verre ? ».
Arrivés à mon appartement, elle claqua la porte du pied et entreprit de m’embrasser avec une fougue inattendue. Devant mon manque d’enthousiasme dû à la surprise, elle me demanda avec dépit « tu veux vraiment boire un verre ? ».
La soirée s’est très bien terminée.

Vendredi 7 mai 2010 à 14:19

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Avant tout je tiens à dire que je n’étais pas volontaire pour cette mission. Je veux dire, des têtes brulées qui veulent partir à l’aventure et expérimenter le libertinage avant de se ranger avec une fille du village, il y en a partout. Moi, je ne voulais pas y aller. Mon instinct de conservation me dit : tiens-toi à l’écart des chimères. Mais il y a toujours un vieux toqué à la barbe blanchie qui parvient à convaincre tout le monde qu’il faut rendre visite aux créatures magiques.
Assez sournoisement, le sort m’a désigné comme émissaire.
Vous me direz, dans le genre monstre, il y a pire que les dryades. Elles au moins, elles parlent. Il y en a même que ça botte, ces histoires de femelles non humaines. Et puis c’est vrai qu’elles recèlent d’un certain charme, les conteurs en faisaient toujours des descriptions dithyrambiques dans leurs fables (ils ont souvent cette tentation assez ridicule à l’hyperbole).
Mais ce n’est pas pour ça que je tenais à faire leur connaissance.
Aller à la sylve des Dryades n’était pas particulièrement difficile ni dangereux, aussi on m’y envoya seul. Il n’était venu à l’idée de personne que les dryades en elles-mêmes pouvaient représenter un danger. On ne se méfie pas assez des femelles.
Bien sûr, personne n’avait prêté attention au fait que les rares fois où on envoyait un intermédiaire auprès des dryades, c’était en plein hiver.
On faisait ça un peu après la St Sylvestre, lorsque la forêt est encore endormie. Les dryades accueillaient le négociateur avec indifférence et le congédiaient rapidement. Cela nous permettait d’en tirer des traités avantageux (libre circulation à travers les futaies, droit d’exclusivité sur le bois mort de la forêt, des choses de cet ordre) tant que nous respections la nature.
Les dryades étaient rarement ravies lorsqu’elles consultaient les clauses avec plus d’attention mais elles ne revenaient jamais sur leur parole. Question d’honneur.
Mais cette année-là, on avait tardé à dépêcher quelqu’un auprès d’elles, et le printemps était en avance.
Les dryades étaient donc en pleine possession de leurs moyens lorsque je suis entré sur leur territoire. Et elles étaient loin d’être ravies de me voir. Cette saison rend les dryades plus sauvages.
Impossible d’entrer dans la sylve à leur insu. Je franchis donc la lisière des bois et m’assis en attendant d’être conduit à leur reine. Mais je ne m’attendais pas à me trouver nez-à-nez avec un arc.
Une dryade contrariée cherchait de toute évidence une cible pour passer ses nerfs et son espèce déteste qu’on soit cruel avec les créatures des bois. Heureusement qu’un humain passait par là. J’aurai au moins rendu service à un renard ou un écureuil. Bref, à la fin, je ressemblais plus ou moins à une pelote d’épingles.
Bien sûr, j’ai été recueilli par une de ses sœurs. Le printemps est aussi la période des amours, et il n’y a pas tant de mâles que ça qui traversent le bosquet.
Cependant, j’étais suffisamment abimé pour ne plus pouvoir quitter les arbres, à la merci des sautes d’humeur des dryades et de mes filles.
Je n’ai même pas réussi à leur faire signer le traité.

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