Vendredi 25 décembre 2009 à 16:32

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Jamais plus je ne me rendrais au foyer familial, je peux dire adieu au pavillon de ma jeunesse. À présent, j’ai compris, il est temps de coupon le cordon. Fini, le temps où je pouvais me vautrer dans les ultimes de mon adolescence, ce temps s’est enfui.
Oh, je ne m’en vais pas de gaité de cœur : là-bas, on mange gratis.
De toute façon, la transition est aisée : il y a longtemps que je dors sous d’autres toits que celui de mes parents, mais à présent le logis familial me fait douloureusement sentir que ce n’est plus la peine d’y mettre les pieds.
Je ne parle pas du babillage épuisant de ma mère ou des borborygmes de mon père me reprochant de confondre la maison avec un hôtel doublé d’une laverie, derniers fragments d’une jeunesse enfuie (c’est merveilleux, les vêtements arrivent froissés et sales dans la valise et à la fin du week-end, ils réintègrent la-dite valise, propres et pliés. Quand je vous dis que ce pavillon a des pouvoirs magiques) – ça, j’ai l’habitude.
Mais ce foyer, ces murs et ces fenêtres, ils murmurent et conspirent à ma perte, ils me persécutent personnellement, conjurent les éléments pour me pourrir la vie.
C’est surtout la nuit que la demeure me pourchasse.
Elle a dû entendre que je regagnais les pénates familiales dans le but de trouver le repos, donc elle détruit méthodiquement mon sommeil au scalpel rouillé, tétanos offert par la maison.
Les effluves de rap qui se déversent des fenêtres ouvertes d’un kéké à minuit, et même le chat qui hurle à la mort à partir de 7 heures du matin, c’est pour les petits joueurs, c’est anecdotique – quoique la technique du chat comporte un certain sadisme : la seule façon d’avoir la paix, c’est de le laisser troubler mon sommeil à force de ronronnements et de tentatives de se blottir contre sa maîtresse de façon à entraver mes mouvements et me gêner, voire le combo : se pelotonner contre mon oreille pour ronronner à pleines turbines.
Plus original : m’acculer au sacrifice.
Je vous brosse le portrait : le poseur de vitres arpente les arcanes de la maison pour a quatrième fois (au bas mot), suite à des oublis en chaîne, des erreurs de dimension, … Je vous le donne pour mille : l’homme s’est encore égaré.
Il propose donc benoîtement d’achever son travail le lendemain aux aurores, à huit heures.
Comprendre, il veut me faire mourir de fatigue et de neurasthénie.
De guerre lasse, je consens mais j’entends les radiateurs ricaner devant cette perspective de nuit tailladée. (bien sûr, ils ne pouvaient pas prévoir que je me ferai livrer les croissants au petit déjeuner)
Mais ce n’est pas tout – ce serait trop beau.
Le boss final : le réveil à 2h25.
Première attaque : le coup de fil. C’est un échec critique, je n’entends pas la sonnerie qui m’exhorte à porter assistance à ma très honorable voisine, qui a (encore) chu. Qu’à cela ne tienne, le logis honni sort de sa pokéball son attaque spéciale : les pompiers qui viennent sonner à la porte. Et ça ; c’est très très méchant.
Je ne peux plus reculer : non seulement je dois me lever, mais de surcroit je dois de ce pas me mouvoir jusqu'à l'étage inférieur tel le zombie afin de fouiller parmi les 50 clefs que mes parents conservent comme des reliques (dont 45 correspondent à d’anciennes serrures), constituées en trousseaux plus ou moins éclopés (parfois constitués d’un ensemble de clefs identiques, très « diamants sur canapé ») sans étiquette.
Le bouquet final : l’ultime coup de sonnette pour rendre les clefs.
Les pompiers sont des gens biens : lorsqu’on leur parle de boîte aux lettres, ils ne veulent pas y mettre autre chose.
Bien sûr, la résidence a aussi des bottes diurnes, comme l’alarme qui se déclenche inopinément au réveil (il faut alors se précipiter sur le boitier pour faire taire la sirène glapissante, puis articuler le mot de passe distinctement à une jeune femme qu’on entend très indistinctement. N.B. après cet intermède le réveil est total).
Bizarrement, il y a aussi les félins aliénés. C’est un levier puissant : il y a celle qui miaule à la mort pour que je descende lui tenir compagnie parce qu’elle a peur du noir (vers 14h), et qui tente désespérément de grimper sur mes genoux en plantant ses griffes dans ma chair (et elle hurle lorsque je la soulève) lorsque ça ne m’arrange pas (que j’écrive ou que je me vernisse les ongles), elle a le chic pour être agaçants.
Il y a également les doux dingues. Je vous refais la scène. Je m’équipe tel l’Inuit pour traverser le jardin afin d’aller nourrir les locataires de la cabane à outils.
La femelle m’accueille, comme d’habitude, plantée sur le seuil, me fixant l’air de dire « alors là, même pas tu t’approches de mes bébés. ». Coupe le cordon, ils ont quatre mois tes gosses. Sentant certainement l’odeur du chat du bercail, elle se frotte consciencieusement contre mes jambes, afin de coller plein de poils noirs sur mon pantalon blanc (c’est malin, maintenant je ne peux plus me fondre dans la neige).
Soudain un charivari tinte à mes oreilles : ce n’est qu’un chaton qui se sentait vulnérable et qui a voulu changer de cachette (d’habitude les chatons sont absolument invisibles). Mais courir sur une étagère en bois, ça fait du bruit et ça renverse des objets.
Il est planqué entre deux échelles, et c’est vrai qu’avec sa fourrure noire il aurait presque pu être invisible. Mais trop tard, vu la discrétion de son déplacement, je l’ai repéré et je ne compte pas le lâcher. Je m‘approche à petits pas, main tendue et ouverte, tandis qu’il roule des yeux fous et tente de rentrer dans le mur. Un pas de plus et il se sent acculé, il n’y tient plus, il bondit tel le cabri sur l’étagère et de sa foulée élastique détale à une vitesse que seul un jeune chat peut atteindre, boule de feu noir fendant la pelouse. Avant que je n’ai le temps de cligner des yeux, une seconde tâche aérodynamique poursuit la 1ère : c’est sa mère qui lui court après (pour le gronder ? Pour ne pas le perdre de vue, vous savez ma bonne dame avec les enfants on sait jamais ? Pour jouer à cache-cache ?).
Après avoir rempli les gamelles, je retourne à l’entrée de la maison, dans le jardin un arbre bruit, s’il n’avait pas été si touffu j’aurai pu repérer les deux matous.
Drôles de bêtes, c’est cette maison qui les rend timbrés pour me désorienter.
Total, c’est gagné. Je retourne à mon appartement, au tapage nocturne et aux fringues qui ne se lavent pas toutes seules, je suis traumatisée. Si mes parents veulent me voir, ils n’ont qu’à m’inviter au restaurant. Ou ils appellent un bon exorciste.

Vendredi 18 décembre 2009 à 22:15

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Il n’y a qu’une prépa catho pour avoir une telle idée : une lecture de notes.
Pour ceux qui n’ont connu que le public (les gueux), une lecture de notes, c’est une sympathique séance de torture publique et collective, suite au conseil de classe.
Le responsable de niveau ou le directeur se déplace en personne pour faire à la classe le bilan du-dit conseil, d’abord à l’échelle du groupe, puis pour chaque élève, un par un, par ordre alphabétique (ils devraient essayer deux par deux, d’ailleurs, histoire de mettre un peu de gaité dans cette curée, genre Battle Royale II). Il découvre alors la majorité des visages (heureusement que l’élève se lève courageusement pour affronter le supplice, ainsi l’homme –les femmes sont étrangement sous-représentées dans l’élite de l’administration de ce genre d’établissements – sait où porter son regard), les abattant méthodiquement à mesure qu’il tourne les pages où chaque cas est disséqué, il adopte un tu familier pour camoufler l’arsenic.

En prépa, l’aventure prend une tournure psychédélique.
Le directeur de l’établissement (aperçu trois fois pendant l’année, lors de discours de bienvenue ou au portail lorsqu’il encadre l’entrée des primaires) choisit son moment à point : l’avant-veille des vacances, après quatre jours d’épreuves à raison de 7 à 8 heures d’examens par jour : bref, il n’aurait pas pu plus mal tomber (à part pendant une épreuve, peut-être).

Flanqué du censeur des prépas (croisé deux fois au détour d’un couloir, heureusement que le directeur l’a présenté lors du discours de bienvenue, comme ça on sait qu’il faut le saluer) ; le directeur fait son entrée avec une demi-heure de retard, retenu par une autre classe (c’est vrai qu’après une épreuve d’économie de 13h30 à 17h30, on avait qu’une envie, c’était planter notre tente dans la classe, histoire de prolonger ces bons moments).
C’est le directeur qui parle, le censeur ne fera qu’une intervention pour placer un bon mot (c’est vrai que le directeur a quand même plus de légitimité).
Bon enfant, il nous livre les recettes du succès : du travail, du sommeil, de la méthode (on commence par les cheveux et ça finit forcément par se traduire dans les copies). Enfin il nous libère, ce n’était pas si terrible. Mais on s’en serait potentiellement passé. Les cravates des deux hommes étaient inversement assorties à la chemise de leurs dossiers.

Une question reste sur toutes les lèvres, l’esprit ne cesse de se heurter à cette absurdité, ce scandale de la raison  : pourquoi ?
Si au lycée la lecture de notes peut éventuellement constituer un éperon, la petite piqure salvatrice, ou au moins un compte-rendu utile pour se évaluer sa situation ; qu’en est-il en prépa ?
On sait qu’il y a des concours à la fin de l’année, c’est une perspective suffisamment envahissante pour qu’on n’ait pas besoin de pense-bête.
Pourquoi cet homme qui ne connait pas notre nom nous dit-il ce que nous sommes scolairement ?
Le mystère restera entier mais au moins l’épreuve est finie. Jusqu’au deuxième trismestre.

Vendredi 18 décembre 2009 à 21:43

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Noël est pour le préparationnaire un moment des plus ambigus.
Il est d’abord précédé par des événements extrêmement douloureux (concours blancs, lecture de notes…), ce qui signifie qu’il sera dans le rang des centaines de désespérés qui hantent les magasins de 24 dans l’espoir de trouver quelque chose (il faut dire qu’il n’a pas eu le temps de réfléchir à ce genre de contingences).

Noël est un moment à la fois libérateur (les vacances de Noël sont les seules vraies vacances du deuxième année, rare moment où il peut consacrer deux jours de suite à sa famille, il peut ponctuellement s’adonner au matérialisme et au consumérisme primaire sans penser en sociologue – non que les festivités de Noël ne soient un formidable terrain d’observation) et horriblement stressant (parce que la culpabilité finit toujours par s’abattre sur lui comme un vent terrible).
Mais avant tout, Noël est l’occasion de la bataille des sapins.

La prépa est conviviale : lorsque Noël arrive (ainsi que le premier concours blanc), pour égailler un peu la classe, les préparationnaires font l’acquisition d’un sapin, rationnant des décorations au sein des familles.

Il est stupéfiant d’en constater la diversité : traditionnel (petit, bien garni, équilibré) pour les taupins ; grand et déplumé pour les épiciers (ils l’ont eu en soldes) ; original pour les hiboux (sapin en plastique dont les deux parties sont pendues séparément dans la classe, voire sapin tondu à l’exception de quelques branches au sommet le tronc habillé de guirlandes de perles d’un goût douteux, poupée gonflable…).

Mais le préparationnaire est jaloux. Il veut être le seul à jouir du sapin (qu’il en ait un ou pas). D’où un combat sanglant, la veille des vacances, les internes subtilisent les sapins des autres pour les entreposer dans leur classe ; ou les saccagent, ne laissant que quelques branches et des boules cassées (certains taupins sont très limités).

Noël est donc une période de tensions pour le préparationnaire : il doit veiller sur son sapin –voire ceux des autres - pendant quelques 48 heures.

Vendredi 18 décembre 2009 à 20:54

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Jane est petite, brune, lorsqu’elle s’installe à son bureau en acajou elle chausse des lunettes cerclées de noir. Ça fait longtemps que j’observe Jane, elle ne le sait pas encore. Elle ne me voit pas, peut-être qu’elle m’a oublié. Mais j’existe encore. Lorsqu’elle quitte la chambre, je feuillette son journal, la couverture est en cuir noir et les pages sont satinées, j’ai du mal à saisir les pages pour les tourner. Jane est une fin en soi.
Moi je ne connais rien en dehors de la chambre de Jane. Il lui arrive d’évoquer d’autres personnes, d’autres lieux. Mais pour moi il n’y a rien en dehors de cette pièce qui choit inexorablement dans les limbes, lorsque je regarde par la fenêtre c’est toujours la nuit, une nuit sans étoile.

Jane m’a juste esquissé, je n’étais qu’une silhouette, je ne savais même pas définir la couleur de mes pupilles, chatoyantes. Mais même si je ne suis plus dans ses pensées, lentement je prends forme, je me nourris de son imaginaire pour devenir.
Parfois un souvenir surgit à ma conscience, c’est Jane qui imagine la vie d’un personnage encore inconnu, quelqu’un qu’elle compte croquer dans son journal, elle ne le sait pas encore mais c’est moi, c’est moi qui m’impose lentement à elle. Je cherche encore à trouver ma place dans le journal de Jane.

Le journal de Jane est un monde en soi. Je sens que bientôt Jane se souviendra de moi, que j’aurai ma place entre ses pages.

Je prendrais forme et je deviendrais quelqu’un.
Au début, j’explorerai le monde de Jane, je la suivrai comme son ombre. Ses amis me demanderont qui je suis, ce que je fais là, et elle sera embarrassée, car pour elle ce sera comme si j’avais toujours été là. À force de contaminer d’autres mémoires, d’interférer avec d’autres âmes, je pourrai m’affranchir du journal de Jane. Je gagnerai en consistance et mes souvenirs du monde réel jouxteront avec ceux conçus par Jane. Et je disparaitrais de sa vie. Je ne sais pas si elle se rappellera de moi, si je vais lui manquer, si je laisserai un vide.
Je ferai des rencontres ; je trouverai un travail, parce que Jane m’a fait intéressant ; j’aurai de quoi me loger et peut-être je pourrai tenir un journal.
Et Jane ne parlera plus de moi dans son journal, car il n’y aura plus rien à dire.

Jane tient un journal des choses qui sont et celles qui ne sont pas.
Dans les premières pages de son journal, elle disait qu’elle n’aurait sans doute jamais eu l’idée d’entamer un journal intime si on ne lui avait pas offert ce beau carnet avec cette inscription gravée en lettres déliées, gravés en lettres d’or, déliées : The Diary of Jane.
C’était faux, elle avait cherché des mois ce cahier, elle craignait qu’en tombant sur un cahier d’écolière, on ne la prenne pas au sérieux.
Jane écrivait l’histoire car bientôt j’allai rencontrer Jane. En attendant, j’épiais ses gestes depuis les limbes. Il faut juste que Jane me laisse une place dans son journal.

Je connais Jane par cœur, nous sommes encore liés. Tant qu’il y aura ce journal entre nous, il y aura ce lien insécable, un filet de mots.
Jane peut faire de moi ce qu’elle veut et déjà elle forme des projets, elle ne le sait pas encore mais elle tente de me façonner, je suis trop faible encore mais lorsque Jane n’aura donné ma place dans son journal, alors je pourrai l’influencer à mon tour et faire de moi ce que je suis.

Par le journal je connais tous les personnages de Jane, ce sont tous des personnages car il n’y a pas de monde extérieur. Je n’ai pas besoin de leur parler car nous sommes attachés par le journal. Je rêve de rencontrer quelqu’un, de parler avec quelqu’un, même avec Jane.
Elle pense à créer quelqu’un qui s’appelle Eve. J’espère qu’elle prendra chair dans les limbes.

Vendredi 18 décembre 2009 à 20:01

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Dieu des voleurs (les économistes) et des anthropologues, Hermès porte le Panthéon à bouts de bras.
Toujours impeccable de sa personne (pour infiltrer discrètement dans une observation participative les milieux des cadres et des dirigeants du monde après le cours ?), il règne sur la khâgne (du haut de sa double matière).
Adulé, il déborde d’enthousiasme, gratifiant ses fidèles de sourires timides tandis qu’il tente de les convertir à sa cause ; il explique, avec un aplomb désarmant et une hésitation pleine d’espoir d’adhésion, pourquoi il ne veut pas vivre dans une cabane ave Yann Arthus Bertrand.

Il tente à l’occasion une plaisanterie, se réfugiant derrière le label « économique » pour ne pas être incriminé, réclamées avec chaleur par les disciples. Pourtant, la chute les laisse généralement dans des abîmes de perplexité.
Le commentaire d’Hermès (« c’est drôle, non ? ; c’est une bonne blague, vous ne trouvez pas ? »), par contre, soulèvent des vagues d’hilarité.

Hermès est dynamique, il volète à travers la salle du haut de ses sandales ailées, n’hésitant pas à imposer des travaux herculéens aux élèves pour que des allées praticables soient dessinées entre les tables.

Il se penche de temps à autres sur tel ou tel exemplaire des prophéties, soulignant son propos en laissant courir son index sur le parchemin, pointeur écumant les mots qu’il vient de prononcer. On dirait qu’il tente de convaincre personnellement l’élève de la pertinence de son propos. C’est toujours vécu comme une sorte d’agression : l’élève lève les yeux et opine faiblement du bonnet, priant pour que les yeux de Dieu se plantent dans d’autres pupilles.
À vrai dire, il affectionne à terroriser ses fidèles durant ses discours divins, en les fixant durant qu’il dicte la Sainte parole. Sa victime, pétrifiée, ne peut que tenter de prendre l’œil intelligent et réfléchi, comme s’il comprenait ce que Dieu déblatère, se plongeant avec soulagement dans son cours pour ne plus avoir à soutenir le regard divin.

Plein d’humilité, Hermès s’efface derrière un autre Dieu : Bourdieu, qui a édité sa propre Bible (La distinction). Il réussit ainsi à transformer une armée de conservateurs voire fascisants (« la seule chose qui empêche les élèves de S. d’être totalement fascistes, c’est sa dimension socialisante – celle du fascisme. ») en socialo-communards vaguement gauchisants. (pour ne rien vous cacher, dans le recrutement, il a même été accepté un élément dangereusement dissident : il lit le Manifeste du parti communiste en cours de math et fait chanter l’Internationale lors d’une petite sauterie intellectuelle organisée par la Maison).

il est prêt à tout pour susciter l’enthousiasme/l’adhésion de ses disciples : il fait des pages de publicité gratuite (« Ulm c’est génial, vous pouvez tout faire et en plus vous êtes payés »), il se pose en professeur principal, n’hésitant pas à sacrifier des heures de cours pour répondre aux questions existentielles des adeptes concernant les concours, rappelant la nature des épreuves, voire lève à l’aube (8h) des anciens élèves glorieusement intégrés pour qu’ils parlent de leurs carrières scolaires (afin que les préparationnaires découvrent qu’en fait, les khâgneux ont un avenir). Il va même jusqu’à faire le khôloscope (trahissant d’ailleurs ses promesses, se servant généreusement dans le temps des khâgneux pour leur mettre des khôles d’éco une semaine sur deux et non une semaine sur trois. C’est bien un économiste.).
Professeur moderne, il n’hésite pas à donner son n° de portable et son adresse mail aux aspirants, tout cela dans le seul but de convertir des âmes innocentes aux implacables rouages de l’économie.

Mais derrière ce regard avenant et ce sourire incertain se cache en fait un tueur qui n’hésite pas à accabler ses élèves de travail, les cuisinant sans merci et distribuant les plans (et donc les bibliographies) après avoir achevé de dispenser le cours, ce qui est limite cruel.

Les remises de copies ou les passages à l’oral sont toujours de grandes séances d’humiliation. Moins parce qu’il s’attaque à un élève en particulier que parce que soudain le désespoir voile ses pupilles et il doit prendre une grande inspiration, les yeux rivés vers la fenêtre pour contenir son affliction, avant de prendre la parole « j’ai été assez surpris en corrigeant vos copies/dossiers, il y a tout un pan du sujet qui vous a échappé/vous n’avez pas développé tous les aspects… ». Bref, ses élèves se sentent à la fois nuls et décevants.

Autre grand moment de torture : les séances d’exercices. Bien qu’applications bêtes et simplistes du cours, il faut une heure pour traduire les données en termes économiques (ce qui est très frustrant). Mais le pire reste à venir : les exercices n’étant pas corrigés pendant les cours, il faut les finir à la maison, et surtout trouver des résultats, quelque soit le temps qu’on y passe (en général 2 heures minimum en plus du cours).
Après le dessert vient le fils du dessert : la séance de correction des exercices. La foudre tombe de tous côtés, enjoignant les élèves à expliciter le fruit de leurs élucubrations. À voix haute, voire au tableau. La moindre faute entraîne une question insidieuse, Hermès demande des précisions, qui provoquent des spasmes de panique à la victime, qui doit tenter de mettre au point une explication sur ce qu’il n’a pas compris lui-même. Et comme si la peur d’être assigné à la correction n’était pas suffisante, la séance d’exercices est généralement suivie d’une interrogation écrite. Comment faire un deux heures ce qu’on n’est pas parvenu à faire en quatre.

Le plus sadique reste peut-être le dossier. Déjà, c’est quelque chose qu’on est censé préparer en deux heures mais étant donné les conditions, ça prend facilement six heures, à préparer en deux semaines. Je ne sais pas quel est le pire : lorsque c’est pendant les cours ou lorsque c’est à préparer pendant les vacances (c’est-à-dire en pratique la veille du jour J, entre 22h et 4h du matin). C’est long, pénible, et on est jamais sûr d’avoir produit quelque chose de satisfaisant.
La cruauté de cet exercice est double : le dossier doit être préparé très sérieusement non seulement parce qu’il est susceptible d’être noté (la moitié des préparations sont ramassées), mais en plus parce que l’élève risque de s’exposer à un opprobre publique. Hermès choisit en effet un élève pour présenter son dossier à l’oral devant la classe, avant de le cuisiner consciencieusement sur les aspects qui ont échappés au malheureux élève. Et il faut tenir vingt longues minutes d’exposé. La recherche de références dans le dossier et la toux subite et lancinante sont les meilleures amies du khâgneux pour gagner du temps. Mais on n’échappe pas à son destin.
Inutile de vous dire qu’une fois que le professeur s’est désigné une offrande, un soupir de soulagement parcourt la salle.

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