Mardi 4 mai 2010 à 23:34

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En hiver le préparationnaire est confronté à un dilemme cornélien : ouvrir les fenêtres afin de renouveler l’air saturé de réflexions intenses et manquer de finir congeler ou mourir d’asphyxie. Evidemment, sur trois khâgneux, il y a cinq avis différents (oui, parce qu’il y a les schizos). Heureusement, une légion se retire du débat et s’en va affronter le froid polaire pour une bouffée de nicotine. D’autres se terrent contre les radiateurs, judicieusement placés sous les fenêtres : rafraichir les circuits cérébraux, réchauffer le ventre pour faciliter la digestion (des connaissances). Ceux qui restent à leur place pour s’épargner tout mouvement inutile rapprochent les pans de leurs pulls et jettent des regards meurtriers en direction des croisées mais bizarrement l’air ne s’en trouve pas réchauffé.
Le pire reste à venir : devoir entrer dans une salle de taupins après une heure de math sans avoir le temps d’assainir l’air. Les exhalaisons de pivot de Gauss manquent de provoquer des crises d’apoplexie parmi les rangs des pauvres hiboux plus familiers des arômes de littérature.
Quelques semaines plus tard, lorsque la moitié de le classe éternue pour cause de manque de sommeil et d’atmosphère frigorifique, un Dieu de math profère la remarque létale : « c’est parce que vous n’ouvrez jamais les fenêtres, vous masserez dans vos germes. » Mais le khâgneux pratique l’austérité et l’exotisme : quitte à tomber malade, il préfère que ce soit avec le bon air frais et pollué de Paris.

Vendredi 30 avril 2010 à 23:04

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Une vieille bâtisse aux façades rongées de lierre, nichée au fond d'une allée de pierres. Hors du monde. On entre, le parquet soupire, au fond du couloir une pièce dont s'échappent les rires, une volée de marche. Des pièces vides. On les traverse sur la pointe des pieds, pour ne pas réveiller les morts. Dans un placard la marionnette éployée, ses longs membres diaphanes semblent vous tendre les bras, il faut fermer la porte pour ne pas être happé, les boucles de ses cheveux (de vrais cheveux humains, on dit qu’ils appartenaient à une catin sublime) ont quelque chose de suppliant.

C’est Maria qui chante ce soir, les vitres du manoir tremblent encore d’une note ténue. Par les fenêtres on peut voir le jardin givré, la pelouse noire et le bosquet fulminant, prêt à marcher sur la vieille bâtisse. Les murs ont toujours la même odeur que dans mon enfance, je laisse courir mes doigts sur les vieilles lézardes, elles donnent à la peinture jaunie les rides familières d’un vieux parent. Cet enfant que j'ai été est encore emprisonné dans les pièces humides, je n'ose pas le laisser sortir, il voudrait jouer avec la marionnette.

Tout le monde concentré dans une même pièce, ils lèvent leur verre à la jolie chanteuse, ils ne savent pas que je suis là, ça n’intéresse personne.

Cette femme qui prend la fuite, une chevelure brune dénouée, une robe de crème qui s’évapore entre les herbes. Cette femme, j’aurai voulu que ce soit moi. Pour le torrent de mes souvenirs, par égard pour l’enfant qui est retenu entre les murs.

Une coupe de champagne abandonnée sur un guéridon. J’enfile la marionnette comme une robe de gala, il est temps de faire honneur aux invités du vieux manoir.

Jeudi 29 avril 2010 à 19:40

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Jane est petite, brune, des lunettes cerclées de noir qui donnent à ses regards le tranchant inquiétant d’une dague. Avec Jane, les mots semblaient toujours sur le point de se briser, le monde n’en finissait pas de vaciller dans ses verres dépolis. Elle tenait sa tasse brulante étroitement serrée entre ses mains, comme si elle tentait de se raccrocher à la réalité. Elle passait des heures dans ce café un peu poisseux, à l’entrée il y avait deux canaris couleur mandarine et en toile de fond un décor chinois qui rappelle celui du film l’Amant : statues de bronze poussiéreuses, enfilade de paravents d’où s’élevaient de petits rires policés, lumières rougeoyantes des lanternes en tissu ballonnées, meubles de Chine, une porte pour s’échapper en arrière-boutique où les désirs un peu spéciaux de certains clients étaient satisfaits et dans l’atmosphère cette fumée huileuse qui m’embrumait. Les doigts de Jane pianotaient sur la table, fiévreux de ne pouvoir courir sur le papier. Elle aimait ce café car il était particulier, il lui donnait l’impression d’être une héroïne, alors elle n’avait pas à me faire attention à moi. Des femmes asiatiques au chignon bridé aux corps déliés glissaient sans nous voir, la soie fraiche de leurs kimonos nous frôlait. C’est moi qui faisais la conversation, parfois, mais finalement ce n’était pas la peine. Je laissais mes mains courir sur ses poignets avec ce qui pouvait passer pour de la tendresse et elle se laissait faire. Il y avait toujours cette vague odeur de thé vert, amère. Jane faisait des efforts pour laisser les limbes mais moi je n’avais plus la force de l’en tirer.
J’avais fait tant d’efforts pour trouver ma place dans son journal mais j’étais trop vieux, trop déglingué pour avoir encore le temps de jouer.
Jane me priait de me rendre à l’hôpital pour avoir une scène palpitante à inscrire dans son journal et un peu de temps pour écrire, moi je n’avais plus de temps à perdre avec Jane.
Bien que nous vivions ensemble (mais je n’étais là qu’à mi-temps, j’avais trop besoin de l’asphalte pour rester longtemps au même endroit), Jane ne m’adressait pas un seul mot lorsque nous nous croisions, elle laissait des notes sur le frigidaire pour me donner rendez-vous à demi-mots, elle s’amusait à décrypter dans son journal les signes qu’elle avait laissé. Moi je n’ai plus envie de jouer aux devinettes.
Jane était une esthète, elle souffrait de la platitude du réel. Moi j’étais un tigre qui ne cessait de se cogner à un cercle de flammes. Jane a pris mon souffle et ma voix, Jane c’est tout ce que j’ai et Jane garde toujours son journal à portée de main. Mais je suis trop usé, parcheminé.
Il n’y a pas de place pour moi dans le journal de Jane car elle est trop occupée à rêver d’un monde où son père serait digne d’y être inscrit. Ce monde n’est pas pour elle. Ce monde, c’est le mien, celui des frustres, on ne prend pas le temps de songer, on n’est qu’à moitié lucide et qu’est-ce que ça peut faire ? On peut faire des kilomètres sans dormir, pourvu qu’on n’ait pas à se regarder dans le rétroviseur, pourvu qu’on puisse se perdre sur la bande d’arrêt d’urgence.
La mère de Jane, elle voulait juste que le monde la laisse s’évaporer et elle m’a laissé Jane. C’est sans doute mieux ainsi.
Jane ne sait peut-être pas qui je suis. Elle n’est pas comme sa mère, elle n’a pas appris à lire entre les lignes. Je cherche toujours à me faire une place dans son journal. Mais il est sans doute trop tard.

Jeudi 29 avril 2010 à 17:53

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Désormais, j’étais toujours mal à l’aise en sa présence, car elle était pour moi une totale étrangère aux traits familiers. J’avais oublié qui elle était ou peut-être l’avait-elle oublié elle-même.
Elle souriait, me prenait le bras… elle était tellement avenante, elle n’avait pas grandi, elle était toujours la jeune fille vive et bavarde que j’avais fréquentée, je n’avais qu’à l’écouter et à tenir mon rang.
Mais quelque chose clochait, mon cœur martelait mes os, me hurlant de me faire la belle, de fuir d’une pirouette avant qu’elle ne me démasque, car au fond peut-être qu’elle ne s’était pas métamorphosée, peut-être que c’était juste moi qui avait bifurqué. Je m’étais consciencieusement taillée un domino givré, des pages de papier glacé et des clichés usés comme seule compagnie, ravie de me suffire enfin à moi-même. Je m'étais acharnée, méticuleusement, à jeter dans un bûcher tous ceux qui ne me semblaient pas indispensables, cultivant leurs cendres dans une cassette laquée de bois vernis. J’étais lasse d’être enchantée, je m’étais offerte aux flammes pour la grâce de ne plus avoir à être.
Et pourtant je la jugeais coupable, la traîtresse, la déserteuse, le parjure, elle avait annulé nos rares entrevues, méthodiquement, elle avait embrasé la mèche de nos chaînes, je restais des mois sans nouvelles sans que cela ne semble lui peser, sans qu’elle ne semble ne s’en rendre compte, elle ne savait plus rien de moi, de qui diable je pouvais être, mais qu’est-ce que ça pouvait faire, tant qu’elle pouvait me prendre le bras, jouer au simulacre, se raconter nos vies distendues faute de partager autre chose que des souvenirs cendrés, hurler de rire pour couvrir nos larmes.
Je crois qu’on s’est juste perdues au détour d’un chemin.

Samedi 17 avril 2010 à 11:52

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Exil. Hors du monde. Repos. Les vestiges et l’amour et les tambours peuvent bien attendre. Une vie réglée, une vie qui se confond avec le tic-tac. I’ve trapped myself in a ring of fire. Je n’ai plus à penser, je n’ai plus à être moi-même. You’re not for this world, this one is for you. Quel jour est-on, comment vont les autres : ça ne m’atteint pas. Ici rien ne ressemble à la ouate quotidienne. Ici, j’ai pris conscience que j’étais invincible.
Exil. Triangle. Un maillage étroit de non-dits et de désirs avortés, de fausse complicité sur fond d’urgence et de panique, ce n’est pas le monde, c’est ailleurs. Her eyes go cold as she begs the world to just let her go. Un huis clos éphémère, rien n’a de sens car nous ne nous reverrons jamais.
Exil. Ne plus prendre la peine d’être lisse, douce, adorable. Une infection. I've lost friends, lost lovers, but I've still got my soul. Ils sont restés sur la bande d’arrêt d’urgence, il n’y a plus de place pour eux dans ma tête, dans mon cœur, dans mon emploi du temps. Il n’y a pas de place pour eux ici. La vie est réduite à un planning, pas d’intervalle pour penser, pas d’intervalle pour aimer, Andréas, seuls des désirs tailladés affleurent parfois, les pulsions se confondent avec le sommeil, pas d’intervalle pour eux, pas d’intervalle pour moi. Donnez-moi quelqu’un en pâture, n’importe qui, pourvu que je me sente moins seule. Pandora.
Exil. Welcome to Oblivion. Tout va tellement vite, les jours dégringolent, rythmés par le bourrage de crâne et les parenthèses de décadences, est-ce qu’on rit pour fuir les études ou est-ce qu’on étudie pour fuir les ricanements désarticulés. Devil is in the details. Même l’échéance n’a plus de sens, il faut courir après les mots, les imprimer en soi, s’engorger pour mieux disparaître, il faut séduire pour se remplir de désir, il faut jouer pour se remplir de règles, il faut ne pas perdre de temps, il faut se concentrer, il faut dormir, il faut retenir, il faut sage, brusquer, travailler, perdre, exiler. That the movie on your eyelids is no reflection of myself. No reflection of myself.

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