Jeudi 17 décembre 2009 à 21:46

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Orphée :
Le Dieu du français entretient un rapport ambigu avec le langage. Inspiré par tant de muses (tragédie, comédie, …), tantôt il se méfie de son aspect conventionnel du langage et préfère rester muet, laissant les élèves s’initier au Panthéon (en gros, en leur laissant faire le cours, n’intervenant que dans les 20 dernières minutes pour rectifier le moment où le Logos les a trahis durant l’exposé). Tantôt il préfère prendre le taureau par les cornes et enfourche le langage pour un rodéo de deux longues heures. Surfant sur le flot de ses propres mots, son ton assuré trahit qu’il domine la situation.
Quoiqu’il en soit, il y aura toujours quelqu’un qui l’écoutera pendant des heures.

Il se tient éloigné du tableau, il ne manquerait plus que la graphie le trahisse à son tour.

Il est (en théorie) l’un des Dieux les plus éminents (car si quelque chose caractérise la khâgne, c’est bien le cours de français), il se croit donc autorisé à monopoliser une grande partie de son travail personnel (au grand damne du Dieu de mathématiques, qui passe régulièrement à la trappe) par le biais de lectures, ouvrages théoriques, dissertations, résumés, synthèse…

C’est un poète, et son supplément d’âme perce parfois à travers son cours et c’est un brasier passionné qui se déverse dans les oreilles attentives : il déclame son amour pour Rousseau (flamme malheureusement destinée à rester unilatérale et surtout soulever des abîmes d’indifférence dans le cœur des élèves) ou pour l’Orient, il se lamente de la grande médiocrité des copies, il évoque la Présence de Bonnefoy, bref lorsqu’il ouvre la bouche c’est la source du savoir qui se déverse de ses lèvres… mais parfois la machine s’emballe et il quitte son strict domaine d’enseignement et s‘égare sur les bancs du cirque ou la littérature comme connecting people.

N.B. cet homme exceptionnel a converti les préparationnaires au Cratyle et au futur Victor Hugo : Aragon, ce pour quoi le jury de Normale le détestera sous peu.

Jeudi 10 décembre 2009 à 17:40

Le dieu de l’histoire vaut particulièrement le déplacement. Il est détendu, parce que 90% du boulot doit être fait par les élèves (et donc que finalement son cours on s’en fout presque) et qu’il rode le même cours depuis 20 ans.
Oui parce qu’il y a un cours, un chapitre qui transpercera l’année de part en part, au bout de vingt copies doubles on atteint le 1.2 et c’est déjà le mois de juin.
Il feint d’aborder un thème hyper pointu (« les droites en France de 1870 à octobre 1871 ») voire surréaliste (« manger et boire au XXème siècle ») et il parvient par un tour de passe-passe à en faire une variable explicative de premier plan, transversale, fendant les époques et les nations de part en part comme une flèche trop acérée (parce qu’on sous-estime l’impact du clivage gauche/droite dans la vie politique française), à travers les débats et les frontières (quelques soient leurs variations et que leur courbe soit décrite par une fonction dérivable ou non).

Mais tout cela n’est qu’un prétexte à combler les blancs, si Zeus ne trouve rien de plus distrayant.
En effet, les deux heures de messe (ou de bacchanales) sont généralement consacrés à des éclaircissements transcendants sur des détails (ou pourquoi la Chine peut légitimement éradiquer le Tibet dans une conception chinois) lorsqu’emporté par son élan il ne parle pas de sa belle-mère ou mariages.
Il essaye de faire parler les élèves, feignant de contrôler les connaissances mais espérant secrètement qu’il dira une énormité marrante –ou navrante – (en général ça marche bien).
Car voilà la véritable raison pour laquelle il descend de l’Olympe pour faire cours : il pourrait se repaitre dans sa connaissance (et dans ses pénates) sans prendre la peine de mettre son réveil/corriger des copies (son plus grand rêve est de voir les élèves abandonner ou que leurs copies soient tellement mauvaises que le stylo tombe).
Mais il nous fait quand même l’honneur de sa présence, afin de s’en payer une bonne tranche (au dépend des élèves).


Les khôles se transforment d’ailleurs généralement en humiliation collectives. Il faut expédier ça rapidement et dans la bonne humeur, sans qu’il y ait trop de sang sur les murs. On essaye de faire parler l’élève pour l’obliger à réfléchir tout en essayant de l’envoyer dans les cordes par une maïeutique dévoyée. Sérieux comme le marbre, il fait mine d’aller dans le sens de l’élève pour l’amener à dire des âneries et mieux le foudroyer, promptement et définitivement. Propre et net, comme une guillotine. N’en pouvant plus, il éclate soudain de rire et se moque ouvertement de sa victime, prenant ouvertement le spectateur goguenard ou le compagnon d’infortune (qui rie jaune parce qu’il sait qu’il est le prochain sur le gril) à témoin. Bande de traîtres, vous n’auriez pas fait mieux.
Le pire, c’est quand il essaye de faire des blagues pour déstabiliser l’élève. Et je peux vous dire que quand on vous demande avec quoi Blanche Neige réveille les nains, ça marche.

De fait, son plus grand drame est sans doute la carpe. Par absence totale d’avis sur la question ou par peur de dire une bêtise, elle ouvre et ferme la bouche mais aucun mot ne franchit ses lèvres. LA technique d’intimidation atteint son paroxysme : il faut la faire sortir de sa coquille ou à défaut se foutre de sa gueule, ce qui est bien aussi.

L’infortuné qui a eu la mauvaise idée de faire un exposé trop court est confronté au silence jusqu’à la fin du temps imparti, tandis que l’élève se liquéfie sur sa chaise électrique.
S’il refuse de répondre aux questions avec un mutisme buté, Jupiter entonne « it’s a small world » de Disneyland et s’exclame « on est dans le monde de Némo ! » afin d’occuper l’espace sonore. Sa victime muette se meurt comme un poisson hors de l’eau.
Tout est bon pour déstabiliser l’élève.

Souvent, l’humiliation est rendue totale par la présence de témoins. Lâches complices du Dieu, ils rient gaiement de ses assertions acides, protégés par le plexiglas de leur non-appartenance à la race dont c’est la curée. La seule vengeance : assister à la leur.

Zeus est donc un Dieu jovial et instructif, qui donne aussi longtemps qu’il parle au préparationnaire l’illusion de comprendre (avant de retomber dans les limbes de l’ignorance quand il pose une question), Jupiter qui dans l’intimité de la salle de khôle se métamorphose en Pan sournois.

Sans pitié, il ne recule devant aucune bassesse pour accabler ses élèves (khôle le mercredi après-midi ou le vendredi soir ; devoirs soi-disant ramassés à faire en un week-end pour mieux les oublier lundi matin ; devoirs rendus sans correction officielle ; chansons sardoniques « dur dur d’être préparationnaire » ; …).

Un Dieu cruel, mais il vaut le déplacement (même à 8 heures du matin).

Vendredi 4 décembre 2009 à 20:17

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Je suis en prépa. Je suis une petite pouf aigrie et imbuvable, un perpétuel ressort détendu et épuisé, névrosée d’avoir sacrifié deux ans de ma vie. Pour compenser le coût moral à passer 12h/jour assise à un bureau et de perdre 2/10èmes à chaque oeil, je suis convaincue de ma supériorité congénitale, surtout par rapport à ces glandeurs de facqueux qui connaissent le sens du mot grève (et par rapport à celui qui a majoré la dernière fois en éco, mais je l’aurai un jour). J’épouvante tout le monde en disant à tout le monde que j’aime ce que je fais, avec une fierté provocatrice, et j’adore placer des phrases pleines de jargon que les gens ne comprennent pas mais moi je fais genre que si parce que le préparationnaire sait. J’affectionne le mot concept même si je ne sais pas très bien le définir. L’école des Dieux, c’est nous.

La prépa est une expérience humaine qui dépasse tout ce qui est connu en matière de relations humaines. La prépa est un microcosme qui comprime d’abord l’esprit puis le corps, lentement elle vous digère et recrache vos os, on se retrouve au père Lachaise ou rue d’Ulm. Certains y plantent leur tente, d’autres vont même jusqu’à y passer leur temps libre.
L’avantage, c’est les liens extraordinaires que cela crée avec les protagonistes. On finit par se retrouver pour regarder le match de foot : la preuve d’un lien inébranlable. Dans la compétition comme dans la solidarité, dans l’intégration comme à l’ANPE, ils font front.
Notez que deux préparationnaires qui ne se connaissent pas finiront par se reconnaitre aux cernes qu’ils ont sous les yeux et aux regards (fréquents) qu’ils jettent vers la sortie, et bientôt ils échangeront des soupirs et leurs expériences respectives. E n’est pas comme s’ils avaient autre chose à dire. Faire une prépa, c’est atteindre une sorte d’universel.
Ainsi, la compétition et l’animosité peut être transcendée par une coexistence pacifique et exténuée. Cependant, certains trouble-fêtes viennent interférer dans cette harmonie bisounours et font bande à part. Vous pensiez fréquenter des êtres intellectuellement supérieurs. C’est possible, si on parvient à casser la coquille d’immaturité et les pelures de l’Equipe.
Il n’y a de paradis que les paradis perdus.

Samedi 28 novembre 2009 à 21:28

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"Bonsoir."
La lumière palpitait, Dieu seul savait où j’étais et comment j’y étais parvenu. C’est le moment où  j’ai décidé d’arrêter l’alcool. Dommage que ça n’ait pas été l’alcool, ça aurait été tellement plus simple.
Une pièce nue et aveugle, d’une blancheur mordante, une table et une chaise sommaires. Une prison, ça c’est sûr, mais les murs laiteux scintillaient un peu trop fort et j’essayais de me rappeler ce que j’avais bien pu prendre pour être aussi stone. Il y avait cette fille, je la connaissais, une fille de ma classe, pas possible de me rappeler de son nom, qu’est-ce qu’elle faisait rien, j’en savais rien, le chatoiement mangeait ses contours, j’entravais rien, qu’est-ce que je faisais là complètement défoncé avec cette fille, j’ai fermé les yeux pour ne plus avoir à soutenir l’opale, je voulais me concentrer. Pour autant que je me souvienne, elle me fixait avec ses yeux incandescents, le feu au fond de ses yeux, et un sourire rassurant, tendre. Son sourire me donnait envie de me blottir contre elle car il disait qu’elle ferait n’importe quoi pour me protéger, que je n’aurai plus à avoir peur. Entre ses lèvres il y avait quelque chose d’immense, un fragment d’infini fiché dans les commissures.
Elle m’a pris dans ses bras, il y avait tellement de douceur dans son étreinte, je sentais sa joue contre la mienne, satinée comme de la glace, elle caressait doucement mes cheveux, c’était assez agréable finalement, mais on ne pouvait pas être au commissariat, ça n’avait pas de sens. Cette fille, Salomé, ça me revenait, elle me serrait dans ses bras et ça n’avait aucun sens.
« - Tu dois te demander ce qui t’arrive. » me dit-elle d’un ton compatissant, et son sourire chaleureux, il me donnait envie de m’y noyer.
« Nous sommes en Enfers. » elle était très calme, je ne savais pas si je devais rire ou repérer les issues, à défaut j’esquissais un rictus peu convainquant en balayant la pièce des yeux.
« - Il n’y a pas d’issue, il n’y a d’issue nulle part. » et je dus admettre qu’elle avait raison, c’était incompréhensible.
J’esquissais un pâteux « qu’est-ce qui est arrivé ? », ses mains courraient sur moi, enhardies, sa bouche se perdait dans mon cou et moi j’avais du mal à esquisser un mouvement, j’étais assommé.
« Andréas. An-dré-as. » elle se délectait de mon nom, le faisait rouler sur sa bouche, en me regardant avec ses grands yeux brûlants, ils menaçaient de me dévorer.
« Je t’aime. Je t’ai toujours aimé. Alors j’ai vendu mon âme pour toi La vie était trop compliqué, tu avais tes histoires d’amour, j’avais mon copain, tout cela était tellement confus… On ne devrait pas séparer deux âmes sœurs, n’est-ce pas ? Mais ne t’inquiète pas. Nous sommes ensemble pour l’éternité. Tu as l’éternité pour m’aimer. »
Et après toutes ces années en temps humain, je suis bien obligée de reconnaitre qu’elle disait vrai.

Dimanche 15 novembre 2009 à 14:58

Je rêve d’un temps infini, un fil tendu d’un bout à l’autre de l’éternité. Je rêve d’avoir enfin le temps de me consacrer à la lecture, à la compréhension et au repos sans être harcelée, sans sentir le sang battre mes tempes. Je voudrais n’être qu’un pur esprit et être dégagée de tous ces colifichets humains. Pourtant, j’ai conscience qu'une telle soif de connaissances est vaine et tous ces détails sur le monde que j’aurai épargné s’éteindront avec moi, cette avidité est totalement stérile. Et pourtant j’en ai besoin. C’est ce que je suis.

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