Mardi 10 novembre 2009 à 19:31

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                  À l’aube, j’ai empaqueté les toilettes éparses et abrasées que j’avais amenées chez elles, comme si j’y avais ma place. Trop occupées à se forger à la barre, perchées sur les pointes pour tendre vers le ciel, elles ne s’aperçurent pas de mon départ.
                Voilà donc comment j’étais remerciée de ma présence tremblante, rampante, le miroir qui leurs renvoyaient leurs délices. J’aurai dû me douter que j’étais trop faible, trop translucide pour elles et parfois cet écart était palpable, cette impatience condensée dans leurs yeux.
                J’ai marché longtemps, je crois que des vêtements tombaient, ils s’échappaient de mon sac, même les objets fuyaient ma présence. J’étais aux prises d’une averse de bulles de savon.
                Je pensais à mon départ pour le Japon, à la façon de faire coïncider mon corps et mon être. J’hésitais : devais-je les suivre ? Les précéder ?
                Soudain, je me suis rappelée de cette vieille photo que j’avais trouvée dans le livre d’un ami, une superbe femme aux yeux gris bridés, qui refusaient de regarder l’objectif, comme si le viseur leur brûlait les pupilles. Ses cheveux tentaient de la saisir à la gorge. Ça aurait pu être la photo d’un modèle, faussement romantique, une mécanique polaire pour donner du caractère –le regard voilé, la brise capturée sur la pellicule. Pour moi, c’était une déesse.

                Soudain, je me suis rappelée de cette vieille photo que j’avais trouvée dans le livre d’un ami, une superbe femme aux yeux gris bridés, qui refusaient de regarder l’objectif, comme si le viseur leur brûlait les pupilles. Ses cheveux tentaient de la saisir à la gorge. Ça aurait pu être la photo d’un modèle, faussement romantique, une mécanique polaire pour donner du caractère –le regard voilé, la brise capturée sur la pellicule. Pour moi, c’était une déesse.
                Celui qui m’avait prêté le livre avait toujours refusé de me donner des détails sur cette femme, comme s’il était lié. Il ne me réclama jamais la photo que j’avais dérobée. J’ai décidé d’aller à Tokyo au plus tôt, afin de renouer avec cette femme, au moins par la pierre sous mes pas et par les embruns. Elle aurait pu être Chinoise ou Thaïlandaise, bien sûr, mais au fond de moi j’avais toujours su qu’elle ne pouvait être apparue qu’en marge du monde.
                Je ne savais pas trop où dormir, j’ai relevé la tête mais Artémis me toisait. J’avais marché au hasard et elles m’avaient retrouvée, elle me connaissait comme personne. Nos iris se brulèrent quelques instants et elle tourna les talons. Je ne voyais pas Diane, sans doute n’avait-elle pas jugé nécessaire de se déplacer. Elle avançait d’un pas élastique ; comme si elle s’attendait à ce que naturellement je la suive. Sans doute on ne les avait jamais abandonnées.
                J’avais envie de jeter ma sacoche, robuste et rapiécé, je n’en avais plus besoin. J’ai choisi de ne pas la suivre, car j’étais encore pleine de leurs poussières de diamant, ces alter ego qui me semblaient tellement inaccessibles, j’étais pleine de la photo aux yeux cendre. Alors j’ai ajusté les bretelles de ma gibecière et je suis partie en chasse. Libre comme l’absinthe.

Dimanche 8 novembre 2009 à 11:10

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C’était une de ces soirées de débauche, nos sens se déréglaient comme des rouages qui s’emballent et les battements de l’horloge s’articulaient sur ceux de nos cœurs. Diane posa sa main sur mon bras et c’était suffisamment incongru pour que ce geste capte mon attention. Je sentais la chaleur qui refluaient de cette main, tout mon être se tendait vers cette femme, j’aurai voulu n’être que quelques onces d’épiderme.
- Nous allons partir, me dit-elle. Et les miroirs volèrent en éclats.
                Cette pièce, notre alcôve, cette enclave au bord du monde, couleur incandescence et luxe, de grands miroirs bordés de dorures en guise de peinture, teintes bacchanale bon marché ; un plafond d’un blanc qui veut se faire oublier orné d’un lustre opulent, chargé de perles de cristal ou de verre, ce luminaire paraissait toujours sur le point de choir. Et des canapés à la mode romaine, montants ambrés tendus de tentures vertes, dont l’intensité exhalait l’ivresse.
                Elle me disait donc qu’elles allaient partir t moi je ne la croyais pas car rien n’existait en dehors de notre île.
Elle me regardait de ses grands yeux limpides, dénués de toute culpabilité, de tout soupçon.
Je lui ai répondu « non », tout simplement. Je ne savais pas ce que je disais, le sang battait mes tempes.
Elle prit la nouvelle avec calme et remplit une tasse de thé froid, très lady. La tasse était dans une porcelaine très fine, on craignait de les rompre d’une morsure en y trempant les lèvres. Elle dégageait une blancheur diffuse que j’enviais et Diane semblait se nourrir de cette opalescence, elle rayonnait d’une aurore feutrée.
Elle a reposé sa tasse et je sentis qu’elle se préparait à se battre, elle déployait son armure.
- Nous allons à Tokyo. À Tokyo, nous pourrons être libres. Me dit-elle sur le ton de le confidence, mais c’était d’une hypocrisie muette, elles étaient libres, c’était dans leurs chairs, elles ne savaient même pas ce que cela voulait dire. Et ses yeux dardaient « et nous y allons seules, nous y allons sans toi. ».
J’agrippais brusquement son bras et elle sursauta (elles n’avaient pas l’habitude d’être touchées, à part l’une par l’autre, mais cela ne comptait pas car elles étaient comme les deux faces d’une même pièce). Je voulais infiltrer ma propre chaleur par ses pores.
- c’est Marco qui nous emmène, on y va en voiture. Et derrière ces mots elle chuchotait « il n’y a pas de place pour toi, il n’y en aura jamais. » comme si elles pouvaient y aller par les routes, on ne traverse pas les océans en voiture, Marco n’existait sans doute pas, je n’en avais jamais entendu parler.
                J’allai protester mais je compris. Leurs corps étaient des arcs, leurs muscles longs et fins ne se dessinaient pas sous leurs peaux translucides mais ils pouvaient lutter comme des titans. Elles étaient des arcs et la colère les feraient vibrer comme des tambours.
Je n’avais pas besoin de les suivre pour être avec elles, c’est un périple que je pouvais faire seule.

Mercredi 21 octobre 2009 à 13:58

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Une noce décadente au son des trompettes et des tambours, un tapage à éveiller les morts. Les squelettes ricanant jaugent les couples virevoltant sur la piste de danse, tourbillon chatoyant et translucide, parfois certains s’évanouissent et la ronde n’est jamais au repos. Aucun des convives ne sait ce qui l’attend, personne ne sait s’il survivra à cette nuit d’apocalypse, les poutres de la grande salle de balle s’effondrent par intermittence. Les coléoptères macrophages se frottent les élytres. Mais n’ayez pas peur, on s’amuse tellement !
Le clerc s’empare vivement de deux catins et la vierge et le vieillard et la mère et le fils : quelle importance ?
la clameur s’apaise mais les sons vibrent encore dans les os, personne ne songe à s’immobiliser de crainte d’être figé en pierre, rien ne saurait en venir à bout de la quadrille.
les pieds s’emballent, on frappe le sol à le fissurer dans un transport démoniaque, les cœurs battent au même rythme exactement. Will danse seul (seuls les morts ne dansent pas), il attend sa fiancée (elle ne viendra pas, il a échoué, elle est perdue à jamais, emportée dans les anneaux des aspics, noyés dans les nœuds des couleuvres, il n’y a rien d’autre à faire qu’à poursuivre la quête, ce pèlerinage sans fin, cette marche inexorable vers nulle part). Will parmi les crânes, ici tout se confond et les murs tanguent, ils sont de chair et s’emparent des invités qui les longent de trop près de leurs bouches édentées.
Will, il y a si longtemps que nous t’attendons. Si tu crois que tu es en Enfers, alors je brûle de t’y précipiter, c’est tellement amusant.
Tu n’es rien Will, à présent tu n’es même plus un homme, c’est à mourir de rire. Tu vas voir comme c’est drôle, Willy, tu vas voir comme c’est drôle de danser au-delà de l’aube.
Tes pieds s’emballent, tu as offert ton âme au diable et autour de toi les squelettes grimaçants, ils ne te laisseront jamais fuir.
Will regarde, ça ne peut être l’Enfer, c’est tellement mieux : c’est une fête ou une bacchanale, une orgie ou un mariage, tout le monde est tellement heureux et leurs yeux voilés et leurs têtes sur le point de s’effondrer, c’est ton mariage Willy, ce sont tes épousailles avec la Grande Faucheuse. Tu as voulu épouser une morte et ton vœu est exaucé, bien sûr ce n’est pas tout à fait celle qu’on t’a dérobée, mais elle lui ressemble. Tu ne peux refuser, tu es coincé ici pour l’éternité alors regarde au fond de ses orbites vides comme elle a l’air jolie.
Allez Willy. Tu peux embrasser la mariée.

Jeudi 8 octobre 2009 à 20:23

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Je me noyais en lui à ne plus devenir qu’une argile de désirs, de rêves. Et pourtant dans mes sourires voilés il devenait ma chose, j’avais la satisfaction de le mettre à genoux, abdiquant, et j’étais victorieuse, tout devenait si simple. Car je n’avais plus à être double, à être fausse.
À vrai dire il m’a vaincue. Il m’a vaincue depuis la première fois que je l’ai vu.
En moi il n’y avait que lui et pourtant il n’était qu’une image creuse, dépossédé de lui-même, et à la place j’y mettais ce golem inconsistant et docile en dépit du peu que j’avais butiné de lui. Je ne le connais pas et pourtant je le désire, tout ce que je pourrais contaminer, tout ce dont je pourrais prendre possession. Désir monstrueux.
Ces bribes de lui qu’il partage… elles m’électrisent.
Des milliers de bras se tendent, entre nous un abîme. Je suis double : celle qui tombe et celle qui tourne les talons.
Souvent je me suis demandée pourquoi lui, toujours lui. Je ne suis pas du genre patiente. Je ne suis pas du genre constante. Je suis l’éternelle traitresse.
Pourquoi lui, je ne le connais pas. Et ne le connaitrais sans doute jamais.

Lundi 5 octobre 2009 à 18:48

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Andréas I love you but you’re breaking me down.
Tout ceci est tellement confus, c’est une farce, dis-moi que le rideau va tomber, dis-moi que je pourrais détaler, laisser à cette histoire les paillettes de la fiction.
J’avais voulu ne jamais te revoir, j’avais claqué la porte à ce que nous aurions pu être, et me voilà devant ton seuil, mais c’est toi qui l’a voulu. Ou peut-être est-ce juste l’excuse que je me donne. Il n’y a plus de pudeur à avoir, il n’y a plus de fierté. Car lorsque tu me mettras hors de ta maison, hors de ta vie ; avec douceur et fermeté, comme notre ultime étreinte, tout sera fini. Jamais plus, jamais plus. Je me sens incongrue, bambou planté devant ton seuil. Je n’ai ni excuse ni prétexte, pas même le plus ténu. Plus de voile de dignité dans lequel se draper. Je joue mon joker, je sais que je suis percée à jour depuis longtemps déjà. Toute honte bue, je me livre à toi, une dernière chance.
Dire que tu es prévenu de ma venue, que tu y as consentit, sans enthousiasme ni lassitude, comme on revoit un camarade de lycée avant de l’oublier pour de bon. Et pourtant, comment aurais-tu pu refuser, je sais que ce n’est rien... mais ça m’a fait plaisir.
Si seulement je pouvais tout te dire, si seulement je pouvais sous-titrer chacun de mes gestes, de mes regards. Si tu me laissais comprendre. Il n’y pas de sincérité entre nous, pas de liens, notre relation (cette blague !) est fumée et signes. Si seulement tout pouvait être expliqué, mais peut-être cela ne t’intéresse pas, peut-être que ça ne t’a jamais intéressé. Brume et mutisme.
Ce besoin irrépressible de te voir en costume de fiancé, de te voir si inaccessible, plus que jamais. Ce besoin de souffrir une dernière fois. Je t’aime au-delà de l’attente.
Tu es tellement fair-play, pourtant, toi seul m’ouvre la porte. Ce point final dans l’intimité de l’alcôve. J’aurai dû m’en douter. Dis-moi que tu sais tout, que tu m’as transpercée, que je n’ai point de secret pour toi dans la douleur du silence. Dis-le-moi que je sache enfin. Mais peut-être que je recherche trop les signes. Toujours cette brèche. Le point final d’une non-histoire avec un inconnu. Tu es fair-play, je ne vois pas cette femme qui te sert désormais d’ombre, celle que j’accolerai toujours ton visage désormais, tu m’épargnes l’injure d’embrasser cette femme comme une sœur, qui quelle soit, celle qui devrait se tenir en arrière plan, en parfaite future heureuse-jeune mariée. Peut-être as-tu cherché à me préserver en la cachant dans un placard, peut-être a-t-elle préféré s’effacer, peut-être qu’elle ignore tout. Peut-être n’est ce que contingence, après tout. Un secret qu’enterrent nos au revoir.
Alors te voilà. En beauté et en mystère. Insaisissable.
Jouons à comme si de rien n’était, à il ne s’est rien passé. C’est vrai que nous sommes doués, pas de traces de tension entre nous, pas de gène ; la conversation va bon train, comme si nous avions quelque chose à nous dire, comme si nous parlions de ce qui restera escamoté. Ce cancer.
Chaque minute en ta compagnie est une exaltation gangrenée. Tendre le bras, jouir de pouvoir te toucher par ce geste, si je le voulais. Prendre un biscuit. Encore un fantasme piétiné par la réalité. Des sablés au goût de cendre, chaque minute en ta compagnie est un espoir désenchanté. Et pourtant je sais bien qu’il n’y a rien à attendre de toi.
Tu me parles de ta future femme, comme pour t’excuser de ne pas l’avoir fait plus tôt. Comment aurais-tu pu, c’est moi qui ai fuit. Je n’ai qu’à partir et pourtant je ne peux pas, je savoure malgré tout ta présence. Je deviens folle, tu sais. Mais que t’importe.
Séparons-nous. Avant de partir, je ne peux m’en empêcher, je n’ai plus rien à perdre. Je t’agrippe, je me pends à ton bras, j’essaye de retenir une dernière parcelle de toi, je veux croire que tout ce que j’ai cru voir en toi n’était pas que mensonge. Mais c’est trop tard, de toute façon. Alors tu t’excuses, une dernière étreinte. Je ne saurai jamais. Je n’aurai pas eu le courage.
Un adieu avant le néant.

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