Vendredi 19 octobre 2007 à 23:43

Je tourne et tourne et tourne dans cet appartement  vide, même Petit Prince ne m'y tient plus compagnie.
Un seul être vous manque et tout est dépeuplé.

Sans Fée, l'atmosphère est si lourde, j'étouffe même les fenêtres grandes ouvertes sur la pollution du dehors.
Je vais bien. En tous cas j'essaye. Comme quoi tout arrive.
Pas de nouvelle de la fille du banc. C'est triste, c'est sûr.
Les rares visiteurs de ma tour d'ivoire me trouvent le teint pâle. Je ne sais même pas pourquoi je vous raconte ça.

N'en pouvant plus de cette cage qui crie l'absence, j'ai pris mon manteau, je suis sortie faire quelques pas.
Trottoir, vent, morsure du froid.
Je me bats pour allumer une cigarette, sous un porche.
C'est mal, je sais. Vous croyez vraiment devoir me le rappeler ?
J'essaye de me limiter, vous savez. Mais là, j'ai trop besoin de penser.

Les rues décevantes. Je songe à Petit Prince, de toute façon il n'a plus le temps, plus le temps de rien, plus le temps de moi, et… Tornade sub-thoracique.
J'aimerai vous en dire plus mais je refuse de figer ce tourbillon anarchique dans une réalité. C'est d'un trop mauvais goût et tellement indécent…

Je pousse une porte, c'est un marchand de livres, étalages froids, impersonnels, normalisés.
On se contente de ce qu'on a.
Je me promène entre les rayons, me gave de cette odeur de livres neufs, je feuillette un ouvrage, le repose, je savoure ce rare privilège.
Je n'ai plus le temps, plus l'argent d'alimenter ma boulimie de phrases. C'est dommage, c'est sûr.
Je tente de retenir quelques titres, quelques noms, quelques lettres, que j'oublierai à coup sûr en franchissant le seuil de l'échoppe. Je reviendrai.

Je passe devant des terrasses, des cafés. Je voudrais entrer mais mon porte-monnaie crie famine.

Mes pas rythment mes rêveries, et Dieu sait que tout cela est sale et laid et vain et triste.
Tellement plus sale de nier.

Et puis cet imbécile, il ment comme il respire. Mais qu'est-ce qu'il cherche, dites-moi ?
Cela me rendrait sans doute triste s'il ne m'était à ce point indifférent, à présent.

Le royaume du roi des sylphes surgit.
Il portera peut-être ses lunettes, il pourra peut-être m'ouvrir sa porte, nous pourrons peut-être nous affaler sur quelque sofa et ne pas parler, fixant l'écran d'un œil torve, cigarette sur cigarette et… Ce sera peut-être bien.

Vendredi 19 octobre 2007 à 23:24

Autour de moi les fous. Ils échangent des propos insensés sur leurs existences inconsistantes, aseptisées, ouatées, c'est dans l'ordre des choses. Et qu'est-ce que je suis sensée penser, moi. Qu'est-ce que je suis sensée penser.
Les objets disparaissent.
Le cœur en charpie, je suis pendue à des mots insuffisants, j'en ai assez. Personne ne souhaite n'être qu'une loque.
Assez d'être moi. Comme si les mois et les années n'étaient pas mon terrain de chasse.
Changer, tout cela n'est que fuite, (s')oublier et espérer, espérer toujours, ailleurs, se tendre, se tendre comme un arc et n'en plus pouvoir de décocher des flèches qui ratent invariablement leurs cibles.
Et même si.
Sourire, hurler en silence. Et le cœur qui s'emballe, comme ça, pour rien.
Celle qui veut fuir, une fois de plus, celle qui sait qu'on ne peut échapper à soi-même.
Finalement se confronter aux autres, ce n'est jamais que se heurter soi-même.
C'est dans l'ordre des choses.

Faut-il être sotte.
Le cœur en charpie, usé jusqu'à la corde.

C'est si facile de se perdre, petite fille, tu verras, ça t'arrivera aussi.

Dimanche 7 octobre 2007 à 15:48

Je ne sais rien de Demetri. Je ne connais pas le nom de son meilleur ami, le parfum de la glace qu'il prend en dessert. Je ne sais pas à quelle table de quel café il se rend tous les samedis. S'il lui arrive de jouer au billard ou s'il préfère regarder le football à la télé.
À bien y réfléchir, Demetri et moi sommes totalement étrangers l'un à l'autre.
Et c'est aussi la personne sans laquelle mon existence serait vraiment dénuée de sens.

C'est donc stupide de partir à sa recherche, comme ça, à l'aveuglette.
Est-il seulement vraiment disparu.
Je m'inquiète pour deux messages en attente sur un répondeur glacial et impersonnel.
Et j'ai peur d'avoir, par ce geste, brisé notre code de conduite. Tacite.

Mais ce code, ce qui nous relie, la définition de ce que j'hésite à baptiser notre « relation », c'est aussi sa présence fantomatique derrière chacun de mes pas, c'est cette épaule sur laquelle je me repose lorsque le gouffre s'ouvre à mes pieds, c'est son souffle dans le combiné.

Aussi absurde que ça puisse paraître, j'ai besoin de Demetri. Même si nous n'entrons dans aucune des catégories « normales » de lien social. Même si je le vois deux ou trois fois par an.
Il fait partie de moi, vous comprenez ? Une part lointaine, vacillante, mais peut-être la plus importante.

Peu importe.
Où es-tu Demetri ? Attends-moi.

Dimanche 7 octobre 2007 à 15:46

Se perdre puis se retrouver.
Oublier sans douleur, se souvenir sans souffrance. Comme une machine.
Appuyer sur reset lorsqu'on sent qu'on s'attache trop.
Ressentir le besoin de se justifier aux yeux des autres, alors que ça ne regarde personne.
Se croiser. Se séparer. Sans regret. Sans soupir. Sans désir.

On vit parfois une relation comme ça, un amour sans tache, sans attache, un amour sans amour, une relation fonctionnelle, basée sur la lassitude et la peur d'être seul, un amour fait d'occasions, de rencontres et de hasards.
Un amour bien loin des amours traditionnels.
Un amour transcendant, libéré des affres des doutes et du désir charnel, un amour libre, un amour où l'autre n'a même plus besoin d'être là, plus besoin d'être à soi.
Une histoire en pointillés. Parce que la vie nous a rongé jusqu'à l'os, que nos passions nous ont déserté et qu'on les a regardé s'éloigner sans faire un geste. Avec indifférence.

Demetri et moi avions une relation comme celle-là.

Vous voulez peut-être savoir où nous nous sommes rencontrés ?
C'était à un de ces cocktails stupides, comme les entreprises s'obstinent à en organiser, où tout le monde fait mine de s'amuser, en tenant son compagnon par le bras et en riant vertueusement de la blague scabreuse de son supérieur, un verre de whisky à la main et un oeil rivé sur la montre.
J'étais adossée à l'une des tables de la cantine, affublée d'une nappe blanche en papier pour l'occasion, qui faisait office de comptoir (pour le « bar »), en sirotant rêveusement un verre de punch en me demandant combien de secondes je résistais avant de m'évanouir discrètement dans la jungle urbaine. Demetri venait remplir son verre lorsque nos regards se sont croisés.
Tout avait été dit.
Nous n'avez jamais eu la prétention de nous croire originaux, vous savez.

Je ne sais presque rien de lui, finalement.
Nous n'avons pas grand-chose à nous dire.
Ce soir-là, celui où on s'est connu, je veux dire, je crois que nous avons échangé nom et adresse.
Mais je n'en garde aucun souvenir.
Parfois, on se téléphone quelques instants, pour prendre des nouvelles, savoir si l'autre se rend à telle ou telle joyeuseté organisé par le travail, ou…
On ne force jamais le destin, Demetri ne m'a jamais donné rendez-vous nulle part et j'espère qu'il ne le fera jamais. En tous cas, moi, je ne le ferais jamais.
Nous n'en avons jamais parlé.
Je vous ai déjà dit que les mots étaient inutiles…

Lorsqu'il arrive qu'on se croise, en voyage d'affaire, à un séminaire, ou…, on prend congé du reste du monde. Lui et moi.
On s'assoie dans un coin, un verre d'alcool trop fort sur la table basse devant nous, on parle un peu, de nos vies, de rien, on goûte au silence et aux baisers, et puis on s'échappe enfin, loin de l'air saturé de fumé et d'hypocrisie, on déambule dans les rues, longuement, rues après rues, on savoure la morsure de l'air glacé, il me prend par la taille et j'appuie ma tête contre son bras, on est bien, on marche, sans raison et sans but, juste pour sentir nos pas dévorer l'asphalte, l'étrangeté d'une ville endormie et le parfum que je lui ai offert parce que j'en avais reçu un échantillon et que je trouvais qu'il sentais trop bon pour ne plus jamais le respirer, puis notre errance nous rejette au pied d'un hôtel luxueux où on loue une suite, toujours une suite pour faire comme si nous étions un vrai couple, partageant un vrai appartement.
On s'allonge sur le lit double et on échange des silences entrecoupés de syllabes insuffisantes, les yeux vitreux rivés dans ceux de l'autre jusqu'à ce que...

Je me réveille toujours la première. Je prends une douche en priant pour ne pas faire trop de bruit et je lui laisse une note, quelques mots (je crois qu'il ne les lit pas) et la moitié du prix de la chambre, je remonte un peu la couverture pour qu'il n'ait pas froid et puis je sors, je ferme la porte derrière moi sans lui accorder un regard.
Je ne vais jamais travailler, les lendemains, alors je marche, j'esquisse quelques pas, seule, sans rien reconnaître, parfois Demetri me rejoint, d'autres fois non, je vais m'asseoir sur le banc usé d'un par cet je regarde les enfants jouer sur les balançoires jusqu'à la nuit suivante… C'est bien…

Demetri et moi, on a grand rêve : être différent. Mais je crois qu'on ne sait pas très bien par où commencer.
Il me dit qu'un jour il sera réalisateur et qu'il me fera tourner dans un film grandiose qui nous portera tous les deux sur le devant de la scène.
Je lui réponds que sa petite amie serait jalouse.
Alors il soupire en disant que les femmes sont désespérément rationnelles et on éclate de rire tous les deux.
Vous voulez que je vous parle de sa petite amie ? Non, je ne la connais pas. En fait, je ne l'ai jamais vue mais on m'a assuré qu'elle est jolie.
Jolie c'est bien.

Je ne sais pas très bien ce que je veux faire dans la vie.
Je veux dire, j'ai mon travail mais il n'est pas très… je ne suis pas exactement… je ne suis pas sûre qu'il me convienne, en quelque sorte… j'aspire à quelque chose d'un peu plus…
Demetri me soutient, bien sûr, il essaye de me donner des pistes, mais nous savons bien tous les deux que c'est un chemin que je dois faire par moi-même.

Je voyage beaucoup, vous savez.
Bien sûr, sans Demetri.
Parfois, nous nous croisons, mais c'est très rare, bien sûr. Mais parfois je me dis qu'où que je sois, il serait capable de me retrouver, à tout instant.
J'ignore comment il fait, d'où il connaît tout ça de moi. Je crois qu'il lit dans mon âme, mais moi je… aucune importance.
Je voyage parce que ça m'évite de me confronter au quotidien.
Et à l'unique assiette dans le lave-vaisselle, aussi, je crois.
Mais puisqu'il n'y a personne pour me tenir cloîtrée chez moi, autant en profiter, non ?... c'est ce dont j'essaye de me persuader.

Ce que je préfère ? Les grandes agglomérations urbaines. Normalisées et anonymes. Où n'importe qui ressemble à n'importe qui d'autre, une ville comme on pourrait en trouver n'importe où ailleurs, dans une autre région, un autre pays, une autre Terre.
Je n'arrive pas à supporter la campagne. Ça me rappelle trop à quel point je suis seule.

Je rêve d'aller dans une grande ville, Tokyo par exemple, une ville gigantesque, tentaculaire, une ville qui dévorerait tout sur son passage, monter au dernier étage de la plus haute tour, et voler avant le néant.

Mais j'ai encore quelque chose à faire avant…

Vendredi 28 septembre 2007 à 21:09

Je cours sans cesse, je me sème un peu plus à chaque pas.
J'allume une cigarette, j'appuie ma joue contre la fenêtre du café. La vraie vie est ailleurs, c'est égal. De toute façon j'y ai goûté : elle est tout aussi fade.
Je perds mon temps, la vie n'est qu'une gigantesque farce pour nous occuper avant que nous ne perpétuions l'espèce. Et dire que certains ont la naïveté d'y croire.

J'ai rendez-vous avec le Diable, puisqu'il faut bien s'occuper.
Une bouteille de rouge sur la table pour faire bonne figure, je n'aime pas adopter un comportement social « respectable ».
Choquer n'est pas mon but. Je veux juste m'échapper.
Je suis jeune, je suis femme, je suis blonde, et je m'ennuie tellement…

J'ai rendez-vous avec le Diable et soyez gentil de m'épargner l'inévitable Faust, c'est lassant.
Il y a bien longtemps qu'il ne monnaie plus ses services : à quoi bon ?
Il s'amuse déjà tant.
Dans ce monde oublié de Dieu, Belzébuth mène la danse.

Il entre et d'emblée je le reconnais.
Le serveur agite un chiffon dans sa direction, les piliers de comptoir émettent des grognements
gutturaux qui peuvent sans doute passer pour des salutations.
Satan doit être un habitué. Il les salue à son tour, à) peu près intelligiblement, sobriété oblige.

Entendons-nous. Le Diable n'est pas beau. Il n'est pas séduisant. Il n'est pas tentateur. C'est une idée trop répandue.
Il n'est pas laid non plus, ce serait trop simple. Il est banal comme la violence ordinaire.
Bélial est vieux, sa peau même paraît usée, et pourtant il fait de grands gestes, agitant sa longue canne au risque de s'effondrer, il est vif et pourtant dire qu'il n'est plus tout jeune est plus qu'un euphémisme.
Lucifer s'assied avec toute la dignité que lui réclame son statut, ses pupilles pétillent d'intelligence.
Il ne me fait pas peur. Il y a longtemps que rien ne m'affecte.

Il fait un signe au serveur, commande « comme d'habitude ».
Je crois qu'il se force à ressembler au poivrot le plus ordinaire, et je dois dire que c'est trompeur.

(à suivre ?)

<< I'm Darkness | 70 | 71 | 72 | 73 | 74 | 75 | 76 | 77 | 78 | 79 | I'm Sin >>

Créer un podcast