Vendredi 17 août 2007 à 14:47


Que faisais-je dehors à cette heure tardive, ce soir-là ?
Pourquoi n'étais-je pas occupée à m'abandonner aux pulsations des baffles, à apprivoiser quelqu'un, un homme, au comptoir ou dans un hôtel miteux, et autres appartements sordides d'entrepôts désaffectés ?...

Peut-être étais trop éveillée encore, trop lucide. Peut-être n'avais pas écumé suffisamment de fonds de bouteilles. Peut-être que toutes mes « amies » avaient verrouillé leur cible, et que je n'avais pu supporter d'être seule, ce ne serait-ce qu'un instant ?

Toujours est-il que je hantais les rues, sans point d'ancrage et sans but. Je n'avais nulle part où passer mes nuits, mes poches étaient vides.
Quand à rentrer chez moi…

Ce qu'il ressentait pour moi ? Impossible de le dire.
Il était insondable. Sans doute avait-il trop l'habitude d'être seul.
Je ne sais rien de son passé, de mon histoire.
C'est à peine si j'ai pu lui arracher son nom, du bout des lèvres : Adam.
A-dam.

Samedi 11 août 2007 à 23:17

C'est simple. Vraiment.
Vous les adultes, vous vous obstinez à tout compliquer.
Qu'est-ce que vous croyez ?
Il n'y a rien de plus simple.
J'appuie sur la détente et le monde ne reverra jamais vos sales faces qui transpirent la félonie lorsque vous n'êtes pas submergés par la peur.

Marrant, justement, j'ai l'impression que vous êtes justement morts de trouille. Quelle coïncidence.

Inutile de protester, inutile d'appeler au secours. Vous croyez vraiment que vous allez manquer à quelqu'un ?

Mais regardez-vous, pour une fois. Soyez honnête envers vous-même, à défaut de l'être envers les autres.
Vous détruisez tout ce que vous touchez, vous vous appropriez ce qui n'est à personne avec une telle… désinvolture que j'en vomis.

J'ai honte, vous savez ? Honte d'appartenir à votre race. Honte d'être des vôtres.
Vous vous croyez tellement forts, tellement intelligents & évolués &…
Du vent.

Mais ce gun va tout arranger, n'est-ce pas ?
Tout ira mieux.
Il me suffit d'une légère pression de l'index et…

Samedi 11 août 2007 à 11:12



- Vous êtes seule ?
- Non, je suis entourée de tous mes admirateurs. Ça se voit, non ?
- Autant pour moi. Je peux vous offrir quelque chose ?
- J'ai déjà commandé. Et ne soyez pas si entreprenant. Ce n'est pas en m'offrant une tasse en carton de café à l'eau de vaisselle que vous ne rentrerez pas seul ce soir.
- ... Où avais-je la tête ?
- Votre tête, je ne sais pas, mais vos pieds ne me laissent guère plus de trois centimètres cube d'espace disponible sous la table. Pourriez-vous donc avoir l'obligeance de leur demander, à eu et par extension à vos jambes, de daigner ne plus piétiner mon espace vital ?
- Oups… désolé. Je vous ennuie ? Je veux dire, ça vous ennuie que je me sois assis à votre table ?
- Hum…
- Je m'en vais si vous voulez.
- Maintenant que vous y êtes, j'imagine que vous pouvez y rester.
- Merci. Vous m'excusez un instant, je vais commander.
- Prenez votre temps.
- C'est dingue, on dirait qu'il n'y a pas un seul serveur dans cette salle !
- Parce qu'il essuie les tables ?
- Bon, j'y vais.
- …
- Me revoici. C'est indiscret de demander ce qu'une jolie jeune fille comme vous fait dehors, seule, à cette heure tardive ?
- Oui.
- Ah…
- Et vous ?
- Moi ?
- Qui d'autre ? Je vous retourne la question : qu'est-ce que vous faites dehors, seul, à cette heure de la nuit ?
- Vous ne me qualifiez pas de beau jeune homme ?
- Ne m'obligez pas à devenir blessante, je vous prie.
- Et pourquoi je répondrais à votre question alors que vous n'avez pas répondu à la mienne ?
- Vous voyez.
- Pardon ?
- Allez-y, parlez de vous, vous en mourrez d'envie.
- Moi, mais pas du tout…
- Menteur.
- Comme vous, j'imagine.
- Quoi ?
- Ce que je fais dehors. Je passe le temps.
- Réponse brillante. Je n'aurai pas fait mieux.
- Vous ne l'avez pas fait du tout, surtout. Et puis vous savez l'heure qu'il est ?
- Non, et ça m'est bien égal.
- Une heure indécente pou la cohérence.
- Vous draguez souvent les jeunes filles seules dans les cafés ?
- Non, c'est la première fois.
- Menteur.
- Et alors, ça vous dérange ?
- Pas plus que ça.
- Et c'est quoi, ce que vous lisez ?
- Vous n'arrivez pas à lire à l'envers ?
- Je suis curieux de savoir comment se prononce le nom de l'auteur.
- A-lou-ki Mou-la-kami. Comme ça s'écrit.
- Enfin, il n'y a ni u ni l dans son nom.
- Comme ça s'écrit.
- Si vous le dites. C'est le passage du quoi ?
- De la nuit.
- C'est bien ?
- Si ce n'était pas le cas, je n'en serai pas à plus de la moitié.
- Je ne sais pas, ça aurait pu être une lecture forcée.
- Comme ?
- Une lecture scolaire.
- J'ai l'air d'être encore lycéenne ?
- Ou étudiante. Ou ça aurait pu être une lecture faite sur le conseil d'une amie très pressante qui ne vous aurait pas laissée tranquille avant que vous n'attestiez l'avoir fini.
- Non.
- Pardon ?
- Non, ce n'est pas ça.
- Ça parle de quoi ?
- C'est pas un livre à histoire.
- Ah ?
 - C'est un roman d'atmosphère. À la
Lost in Translation, vous voyez ?
- Ah oui ! Je me rappelle de ce film. Un Coppola ?
- Oui. Un Sofia Coppola. Avec Scarlett Johansson.
- Ah oui c'est ça. Je l'ai vu dans l'avion, il y a… trois ou quatre mois.
- Vous avez aimé ?
- Bof… J'aurai préféré un truc avec plus d'action, vous voyez, celui-là n'était pas passionnant. Un peu plat, je trouve.
- Je vois.
- On est un peu dans la même situation que le film, là, non ? Vous, moi, un homme et une femme seuls dans un grand café ouvert toute la nuit, ils ne se connaissent pas et ils apprennent à le faire autour d'un verre.
- Si vous le dites.
- Vous n'êtes pas d'accord ?
- Non.
- Pourquoi ?
- Je bois une tasse de caf, pas un verre de gin.
- Ah… C'est quoi l'atmosphère de votre livre ?
- Pardon ?
- Vous m'avez dit que c'était un livre d'atmosphère, non ? Alors, laquelle ?
- Il vous tient à cœur, dites-moi.
- C'est mon seul lien avec vous. Vous avez un meilleur sujet de conversation en stock ?
- Les anges.
- Quoi ?
- Vous ne connaissez pas l'expression « un ange passe » ?
- Oh…
- Une ambiance nocturne ?
- Pardon ?
- Mon livre. C'est une ambiance nocturne, vous voyez ?
- Euh…
- Une ambiance très aérienne, évanescente. Les gens parlent mais pourraient aussi bien se taire, ce qu'ils disent n'est pas vraiment important mais en même temps les mots ont un poids énorme, ils parlent pour remplir le vide, leurs propos sont superficiels parce qu'ils ne se connaissent pas, puis ils deviennent de plus en plus proches, comme ça, ils se découvrent, leurs paroles prennent une tournure plus personnelle, une intimité se construit entre eux… Ils finissent par tomber amoureux l'un de l'autre, comme ça, comme deux solitudes qui se rencontrent dans une grande ville anonyme, comme Tokyo. Ça ressemble vraiment à Lost in Translation, en fait.
- Ça me donne vraiment envie de le lire, votre bouquin. Et de revoir le film. Vous me le prêterez, votre livre ?
- C'est une excuse pour se revoir ?
- Peut-être.
- Alors on verra.
- …
- J'aime bien lire ce livre dans des nuits comme celles-ci.
- Vous l'avez déjà lu ?
- Une demi-douzaine de fois, au moins. J'aime bien le lire d'une traite lorsque je passe la nuit dehors.
- Ça vous arrive souvent ?
- Je ne sais pas.
- Vous avez des problèmes d'argent ou je ne sais quoi pour ne pas rentrer chez vous ?
- Vous, vous n'avez pas de problème d'argent et pourtant vous n'êtes pas encore rentré.
- C'est vrai…
- Et qu'est ce que vous faites pendant tout ce temps ?
- Vous voyez bien. Je reste dans des bars ouverts une partie de la nuit, parfois 24h/24, mais il n'y en a pas beaucoup. Je lis. J'écris. Je bois du café. Je fume une cigarette. Je m'occupe, quoi.
- Vous fumez ?
- Je viens de vous le dire.
- Donc ça ne vous dérange pas si je…
- Allez-y.
- Et après ?
- Après quoi ?
- Lorsque le bar ferme, vous faites quoi ?
- Je me promène. Je traîne dans les rues.
- C'est pas dangereux ?
- Si, sans doute.


À suivre...

Samedi 11 août 2007 à 10:14



On aurait pu me demander en mariage, vous savez. Ce jour-là.
Et pourquoi pas ?
Et j'aurai sans doute pu en sourire si cela n'avait pas été si triste.

Le fiancé ?
J'ignorais que cela vous regarder.
Peut-être un Joël repentant de m'avoir abandonné. Peut-être un O., dans un ultime soubresaut d'amour avant l'agonie (car je le dévorais, j'usais chaque fibre de son être, lentement, nerf par nerf, avec une application diabolique). Ou même un inconnu, croisé dans la rue, un anonyme qui passait par là. Ou pas.

Il aurait pu me tendre un bouquet au beau milieu d'une foule, les pousser dans mes bras avant la fuite, ou même les déposer devant ma porte, au petit jour.
J'aurai pu courir après le mystérieux expéditeur, nageant dans l'attroupement ou foulant l'asphalte des rues endormies, le souffle court.
Et j'aurai pu rentrer chez moi, dépitée et les mains chargées de des fleurs déjà défraîchies.

J'aurai pu chercher vainement une carte, un indice.
Mais c'était un bouquet sans nom, sans faire-part. Un bouquet sans visage.
Un bouquet de personne, pour personne.
Sans doute un bouquet de chrysanthèmes, des chrysanthèmes d'une blancheur immaculée. Un blanc macabre.

J'aurai pu disposer les fleurs dans un vase, j'aurai pu découvrir une bague entre les tiges.
Une bague de fiançailles, bien sûr, parce que c'est plus romantique.

J'aurai pu apprendre, plus tard, que ce cher Joël a été aperçu au hublot d'un avion long courrier.
Alors j'aurai levé mon verre à sa disparition réussie, enfin il aurait été libre, et que j'aurai su que nul ne l'aurait jamais revu.
Et j'aurai vidé mon verre. Et puis un autre. Et encore un autre. Et puis après…

Vendredi 10 août 2007 à 22:27

Agitation urbaine.
Et cette foule qui me cerne et s'empare de moi.
Je me laisse entraîner par le flot, il me guide (où ?) vers une obscure destination. Que m'importe ?
Le soleil s'éveille tout juste de son lit de nuage, la légion des Innombrables, éveillée déjà, fourmille.
Le monde entier semble réuni sur l'asphalte, mue d'une seule volonté, d'une seule conscience. Tous, nous allons nous abrutir au rythme des corvées stupides dont nous nous laissons assigner, avant de retourner, plus tard, à nos existences non moins stupides.

Mais non. Nous n'étions pas seuls.
Tache bleue noyée dans les costumes gris, elle était là.
Elle attendait.
La horde défile sur le macadam, elle était simplement assise sur un banc, un peu en retrait, un peu en marge, les yeux plongés dans le vague. Elle ne semblait pas appartenir à l'instant.
Je veux dire qu'elle n'était pas vraiment là, sur son banc, mais prisonnière d'un espace-temps connu d'elle seule, quelque part dans ses pensées.
Elle était belle, vous savez. Les héroïnes sont toujours belles.

Elle devait guetter l'arrivée de quelqu'un, quelqu'un qui braverait le flot, qui remontrait le trottoir à contre-courant. Il y avait de ça dans ses yeux.

Qui attendait-elle ?
Aucune importance.
Un ami, un frère, un amant peut-être.
Quelqu'un d'important, en tous cas. Pour elle.
Peut-être un seul de ces chiens de bureau comme tous les autres, comme nous tous, semblable à mille autres à nos yeux aveugles, qui sait.
Mais à la regarder, on devinait qu'il s'agissait d'une exception, comme elle, une anomalie colorée au milieu de la foule.

Gris, le monde est gris.
Elle n'en tranchait que davantage.
Elle n'appartenait pas à ce monde. Pas vraiment.

Mais ce qui m'a sans doute le plus marqué, ce n'était ni l'excentricité de ses vêtements, de ses cheveux, de son parfum (une odeur de fruit qui m'a caressé lorsque je me suis trouvé tout près d'elle, si près que j'aurai pu l'effleurer si j'avais osé), ni son immobilité au milieu de ce cœur qui palpite, la ville s'éveille.
Mais c'est son visage qui s'est gravé dans ma mémoire.

Pas pour sa beauté, ou…
Elle attendait. Et son visage transpirait la douleur.
Jamais je n'ai vu pareille expression sur le visage d'un être humain (ou de toute autre créature).
Peur, tristesse, souffrance… Chaque pore de sa peau le criait. Ses yeux me le hurlaient. Etre davantage blessé est impossible.
Comment pouvait-elle le supporter ?
Chacun de ses muscles tétanisés semblaient figés pour l'éternité dans cette position monstrueuse (pour nous, créature de chair & de sang). Elle ne bougeait pas. Pas du tout.

Peut-être que ce qu'elle attendait était simplement retardé, ou bien l'avait-il lâchement abandonné (comment abandonner une si belle femme ?).
Et pourtant, elle restait digne, pas une larme ne perlait de ses yeux.
Et la scène n'en était que pire.

Elle aurait pu attendre ainsi des heures, des jours, des siècles.
Rien n'aurait pu ébranler son attente, et rien qu'à la regarder c'était comme un coup de poignard au coeur.
Aussi les regards la fuyaient.

Je songe seulement à elle et sa simple image puise du fond de mon âme des lacs salés, ils jaillissent du coin de mes paupières.

Qui était-elle ? Personne.
Rien qu'une passante anonyme, comme j'aurai pu en croiser tant d'autres, des yeux bleus délavés et des cheveux blonds cendrés qui cascadent en larges boucles, bien plus longs que la longueur règlementaire et sa petite taille… Et ses courbes…

 Qui était-elle ?

J'interrogeais quelques camarades de macadam, nul ne se souvenait d'elle, comme si elle s'était mystérieusement effacée de leur mémoire… ou que j'avais rêvé.
Le soir, lorsque je fis le même itinéraire absurde à rebours, elle n'était plus là.
Nul ne la revit jamais.

Qui était-elle ?

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